Amanda souriait. Amanda souriait car elle était contente. Je tiens à souligner que c'était un fait relativement extraordinaire depuis que la jeune femme était arrivée à l'Académie, quelques deux semaines plus tôt. Et si Amanda était contente ce soir-là en particulier, c'était parce qu'elle avait enfin trouvé un défi à se mettre sous la dent. Un défi qui allait lui rappeler son ancienne vie de voleuse professionnelle, laissée derrière elle depuis peu, et allait de nouveau faire bouillir son sang d'adrénaline. J'imagine que vous désirez savoir ce qui avait ainsi suscité la convoitise de notre professeur de sciences fatale? Et bien, il s'agissait d'un magnifique tableau exposé au très chic restaurant Aotsuki. Elle l'avait vu quelques jours plus tôt en se promenant en ville, et son œil expert avait de suite remarqué que l'objet avait infiniment plus de valeur que ses propriétaires ne devaient le croire. Une telle oeuvre d'art se vendait à prix d'or aux enchères, et elle en tirerait certainement un excellent salaire! Enfin, pour peu qu'elle parvienne à mettre la main dessus...
C'est pour cette raison que ce soir-là, la voleuse s'était mise sur son trente-et-un : une magnifique robe fendue noire, un collier de diamants des plus onéreux, des porte-jarretelles en dentelle et une minaudière luxueuse composaient le tableau envoûtant d'une femme aussi belle que dangereuse. L'incarnation du glamour et du mystère.
C'est donc une Amanda sûre d'elle au charisme ravageur qui entra dans le restaurant étoilé en jetant un œil au tableau. Oui, il était bien là... Et bientôt, il n'y serait plus, fufufu!
Mais lorsque son regard descendit vers la table surplombée par l'oeuvre d'art, son visage se décomposa. En une fraction de seconde, son plan parfait et ses espoirs s'effondrèrent d'un seul coup. Car la présence d'un professeur de l'Académie, et surtout de celui-là, vint gâcher le tableau. Au sens figuré, bien entendu. Mais c'était bien assez pour mettre la jeune femme d'humeur massacrante. Elle pouvait presque entendre le rire ironique de Carter dans un coin de sa tête, ce qui la rendit d'autant plus énervée. Cependant, étant une professionnelle, l'ombre sur son expression s'évapora aussi vite qu'elle était apparue, et après avoir échangé quelques mots avec le réceptionniste elle se dirigea d'une démarche sensuelle vers la place convoitée.

- Monsieur Garvan, vous ici? J'avoue que je ne me serais pas attendue à vous rencontrer ici... le salua-t-elle avant de s'asseoir. Vous permettez? J'adore cette table, elle est placée à côté des grandes fenêtres et l'on entend très bien les musiciens sans être dérangés. Mais j'imagine que je ne vous apprend rien!

La professeur de sciences avait dans les faits posé une question, mais le ton et l'expression qu'elle avait employés n'impliquaient pas "non" comme possible réponse. Elle s'assit donc confortablement et joignit ses mains décorées de bagues et de bracelets sous son joli menton, plongeant son regard envoûtant dans celui de son collègue.
Sihir Garvan... Elle avait déjà eu plusieurs fois l'occasion de le croiser depuis son arrivée, d'autant plus qu'il était pensionnaire tout comme elle, mais elle avait toujours pris grand soin de l'éviter. Bien trop extravagant à son goût, et en plus elle avait un mal fou à le cerner. Elle avait déjà assez des innombrables bizarreries de l'école pour en plus fréquenter quotidiennement un dingo.
Sauf que ce soir, le statut qu'occupait cet homme aux yeux d'Amanda avait changé. Il était passé du "à ignorer" au "très énervant". "Rageant", même. Il n'avait en soit rien fait volontairement pour ainsi lui gâcher sa soirée, aussi ne prévit-elle pas de se venger, néanmoins il constatait un obstacle des plus crispants et même si elle adorait les défis, la perspective de l'échec très potentiel ne lui plaisait, elle, pas du tout.
Cependant, elle était toujours bien décidée à aller au bout de son objectif, et elle ne comptait pas se laisser démonter par cet élément perturbateur. La partie difficile serait de jouer de ses charmes pour l'amadouer tout en repérant les lieux et une façon de s'emparer de cet encombrant tableau sans être prise sur le fait. Il lui faudrait probablement le voler la nuit quand le restaurant aura fermé ses portes, mais elle devrait au préalable examiner les lieux, conduits d'aérations et angles morts des rares caméras notamment, et user de quelques outils soigneusement cachés dans son sac et sous sa robe afin de préparer le tableau au larcin qui suivrait plus tard. Vu sous cet angle, cela avait effectivement quelque chose de terriblement excitant. Elle devrait ainsi user de ses talents sur deux fronts à la fois.
La partie complexe serait néanmoins celle impliquant ce fameux professeur aussi exubérant qu'insondable...

Amanda arqua un sourcil à la remarque de son collègue. Comment ça, "il serait horrible de la déloger"? Insinuait-il que l'idée lui avait traversé l'esprit? Hin, l'on pouvait dire qu'il en avait dans le ventre, celui-là...
La femme fatale déguisa le fil de sa pensée derrière un sourire charmeur aussi charmant et dangereux qu'une rose.

- J'en conviens, ce tableau est d'une rare beauté. Il a beaucoup de cachet, comme le reste de ce restaurant d'ailleurs. Rien ne vaut une touche de chic et de glamour dans une petite bourgade perdue comme celle-là, n'est-ce pas?

La jeune femme prit la carte du menu placée au milieu de la table et tapota sa lèvre inférieure de son index en parcourant les plats du regard, répondant d'un air distrait à la question pourtant potentiellement gênante du professeur d'arts.

- Voyez-vous, après avoir vu et subit nos chers élèves toute une éreintante journée, j'ai pensé que sortir en ville et dîner dans ce restaurant très agréable serait un changement d'air bienvenu. Et jusqu'à présent, l'idée s'est effectivement avérée judicieuse. D'autant plus que comme vous l'avez souligné, cet endroit ne manque pas de belles œuvres d'arts... ajouta-t-elle en jetant un regard séducteur à Sihir par-dessus la carte du menu afin de souligner son sous-entendu.

Bien évidemment elle n'en pensait pas un mot. Enfin, elle devait admettre que M. Garvan avait un certain charme, mais ce beau discours n'était qu'une action de manipulation supplémentaire sur la longue liste des mensonges de l'ex-voleuse. Emmailloter sa cible dans sa toile afin d'abaisser sa vigilance et de pouvoir triompher de ce dangereux défi.
La jeune femme fit son choix alors que Sihir la pressait pour une raison inconnue, et elle s'adressa au serveur lorsque celui-ci arriva à hauteur de la table.

- L'on m'a dit grand bien de votre homard, mais ce soir j'opterai pour ce rôti d'agneau, dit-elle avec un sourire en tendant le menu au serveur avant de reporter son attention sur Sihir. Nous avons fait des dissections de poissons aujourd'hui en cours, l'odeur était des plus inconvenantes et j'apprécierai de ne plus avoir à faire à cette dernière avant au moins la semaine prochaine, expliqua-t-elle avec un geste et une expression légèrement dramatiques.

En effet, être professeur de sciences s'était dès le début avéré comme étant un choix de carrière désastreux. Mais elle n'avait pas réellement le choix... Avec la présence de Carter dans son esprit et compte tenu de ses compétences en termes d'enseignement des matières scolaires classiques, seules les sciences étaient à sa portée. Ce fichu scientifique... s'il n'avait pas fait n'importe quoi avec sa fichue machine, elle n'en serait pas là! Enfin, si avant tout elle ne s'était pas lancée dans cette mission, elle n'en serait certainement pas là.
Cependant, ce même événement avait également ses avantages... et celui qu'il lui conférerait ce soir serait un atout non négligeable pour son projet.
La professeur fouilla dans son sac et en sortit la paire de lunettes du scientifique qu'elle plaça sur son nez d'un geste sensuel et mesuré, avant de faire mine de justifier son geste en admirant le tableau comme si elle avait eu besoin des verres correcteurs pour en observer tous les détails. Amanda venait à peine de positionner les lunettes en face de ses yeux que déjà la connexion avec l'esprit de Carter se fit bien plus vivace et qu'un flot immense de connaissances déferla dans son esprit. Dans ces moments-là il était toujours difficile de faire le tri dans le savoir astronomique de son partenaire d'infortune. Pas sûr que les équations de Maxwell ne soient utiles à son projet... pas plus que les lois de l'inertie de Newton, d'ailleurs. En revanche... Il pouvait aider pour l'analyse de la configuration des lieux. Cela étant, pour tout ce qui concernait le tableau, la meilleure personne à interroger ne se situait pas en elle, mais devant elle...

- Dîtes-moi, M. Garvan, vous qui êtes un fin connaisseur, que pouvez-vous me dire sur cette fameuse toile qui attise votre intérêt? Sur sa valeur, par exemple, ou bien son état, son poids... Je conviens que ce ne sont pas des questions classiques sur la chose, mais en tant que scientifique, je m'intéresse plus au côté pratique qu'au côté esthétique, demanda-t-elle avec un sourire charmeur afin d'obtenir les informations qu'il lui manquait sans éveiller les soupçons de son interlocuteur.

Certes, il trouverait sans doute étrange qu'elle le questionne sur de tels points, mais elle comptait sur son charme et sur l'exubérance de son collègue pour que ce dernier ne s'en soucie pas plus que nécessaire. Pour la suite... il allait falloir se montrer d'autant plus habile!

Amanda laissa échapper un soupir distrait à la remarque de Sihir tout en retirant ses lunettes.

- Je dois avouer que moi non plus, je n'étais pas du genre à être attentive et studieuse pendant les cours... confit-elle en faisant glisser sensuellement son index sur le bord circulaire de son verre. Mais bon, maintenant que nous sommes professeurs, il est de notre devoir de montrer l'exemple, n'est-ce pas? Une tâche bien éreintante, si vous voulez mon avis.

Elle interrompit son geste pour porter le verre à ses lèvres. Excellent crû, ce champagne. Elle ne se serait pas attendue à trouver une boisson de cette qualité dans une petit ville comme Shisaido... Elle prit donc bien soin de noter mentalement de revenir à Aotsuki à l'occasion.
M. Garvan poursuivit avec un trait d'humour charmeur, qui la fit sourire. Ho-hoo, le professeur d'arts avait donc quelques dispositions dans le domaine plein de défis de la séduction? C'était étonnant...! Mais Amanda ne tolérerait pas qu'on la batte sur son propre terrain, aussi répondit-elle avec tout le charme dont elle savait faire preuve, un sourire envoûtant sur les lèvres délicieusement maquillées.

- Voyons, monsieur Garvan, je suis persuadée qu'un gentleman tel que vous ne saurait me décevoir...! Mais si c'était le cas, peut-être devrais-je réfléchir à des... "punitions" à votre mesure... glissa-t-elle d'un ton sensuel plein de nuances, entortillant lentement une mèche de ses cheveux ondulés autour de ses doigts fins.

Sihir voulait jouer? Cela tombait bien, les défis lui manquaient et cette soirée commençait à perdre de son sel. Un échange comme celui-là était juste ce qu'il fallait pour apporter du piment à cette dangereuse nuit d'avril...
Mais la conversation redevint un tantinet professionnelle lorsque la réponse aux détails qu'elle avait demandé tomba.
Ainsi donc, il ne savait répondre à ces questions... Le professeur gênant s'avérait donc plus inutile qu'escompté. Et il n'y avait rien de plus agaçant qu'un obstacle que l'on ne pouvait exploiter. Ce dernier suggéra d'ailleurs de demander au serveur qui approchait, mais la jeune femme préféra s'abstenir. Quand le tableau aurait disparu, qui deviendrait la personne la plus suspecte? Et bien, évidemment celle qui aurait demandé des informations particulières et précises. Autant éviter de se mettre des bâtons dans les roues pour la suite. Néanmoins... Il y aurait peut-être quelque chose chez Carter qui pourrait l'aider...!
Remettant ses lunettes sur son nez, Amanda observa le tableau d'un air faussement distrait et commença à réfléchir. Le cadre était en bois peint, il devait avoir un volume approximatif de... Mmh, et si elle supposait que la masse volumique était de cette valeur, alors... En prenant l'équation "Masse = masse volumique x volume", elle pouvait obtenir aisément le poids de l'oeuvre d'art.
Parfait.
Le serveur arriva à sa hauteur et ce dernier déposa son plat devant elle. Elle en profita pour l'interroger d'un air détaché sur le tableau mais en prenant bien garde à ne poser que des questions superficielles et assez banales. Son esprit génial parviendrait à tirer quelque chose des informations obtenues, aussi vagues et inintéressantes soient-elles. Le serveur repartit, et elle prit ses couverts en main avec beaucoup d'élégance.

- Ce rôti a l'air délicieux, commenta-t-elle avec un sourire.

Bien, elle avait su déterminer le poids approximatif de l'oeuvre, c'était une étape accomplie de plus dans son plan génial. Restait maintenant à étudier les dispositifs de sécurité, ce qu'elle risquait de ne pouvoir faire depuis sa place. Elle pourrait toujours s'excuser auprès de Sihir et prétexter de devoir aller se remaquiller pour faire un discret tour d'observation, mais ce stratagème allait devoir attendre quelques minutes. Après tout, il ne faudrait pas que ce plat des plus appétissants ne refroidisse...

Amanda contint un énième soupir las, mais elle ne se garda pas de faire connaître à Sihir le fond de sa pensée.

- A qui le dîtes-vous! Notre salaire est, à mon avis, loin d'être à la hauteur de nos efforts... Mais bon, "contre mauvaise fortune bon coeur", dit le proverbe, et il se trouve justement que j'ai eu la mauvaise fortune d'atterrir dans cette école pour y jouer les professeurs. Alors autant faire "bon cœur", n'est-ce pasi? Même si j'admets que ce n'est pas l'envie de démissionner qui me manque, quand bien même l'année vient à peine de débuter...

Cette fois-ci, le soupir dépassa les limites des lèvres finement maquillées. Et dire qu'en effet, l'année venait tout juste de commencer... Il restait au moins dix mois de travail dans cette épuisante école, et encore, juste pour cette année! A ce rythme, elle finirait par se balancer au bout d'une corde. Ou même d'une échelle de corde, lorsqu'elle saisirait celle du première hélicoptère qui passerait à sa portée. Et tant pis pour la CIA et sa couverture ici à Shisaido!
Enfin bon, elle laissa momentanément sa lassitude de côté pour esquisser un sourire à l'attention de son collègue.

- Voyez-vous ça...! Je dois cependant avouer que cela ne m'étonne guère, un personnage extravagant comme vous ne devait pas faire partie des têtes de classes studieuses et assidues, fufufu...!

Elle acheva de tortiller l'une de ses mèches de cheveux et se saisit de la rose qu'elle porta délicatement à son nez fin, adressant un sourire envoûtant au prestidigitateur. Mon dieu, ce que c'était vieux-jeu! Mais ce petit côté "gentleman d'un autre temps" ne lui déplaisait guère, lui... Visiblement, M. Garvan savait jouer. Agréable surprise que celle-là...

- Voyons, vous ne comptez tout de même pas sur moi pour vous gâcher la surprise, n'est-ce pas? répondit-elle à la réplique d'un ton sensuel. Sachez cependant qu'en termes de châtiments, je peux être très inventive...

Elle porta ensuite son verre à ses lèvres en jetant à Sihir un regard plein de promesses... qu'elle n'avait bien sûr aucune intention de tenir. Elle ne comptait pas pousser le jeu jusqu'à tenter de prendre le cœur de son collègue pour ensuite le briser sous ses talons hauts, le parti n'était pas assez intéressant d'une part, et d'autre part elle n'était nullement venue pour ça ce soir.
L'atmosphère langoureusement malicieuse finit par retomber, et Amanda s'attaqua à son plat.

- Et bien, nous allons voir si la critique est à la hauteur. Je vous souhaite un bon appétit également, monsieur Garvan, renchérit-elle d'un sourire.

C'est avec des manières délicieuses que la professeur de sciences entama son repas. Un rôti... quand on y pensait, ce plat n'avait rien de bien distingué, pas même son nom d'ailleurs. Mais il fallait reconnaître qu'il n'était pas si mal, pour un met du peuple. Ce restaurant était à la hauteur de sa réputation, cela, l'on ne pouvait le nier. Amanda n'aurait ainsi aucun scrupule à lui faire un bon coup de pub en s'emparant de ce précieux tableau! Cette pensée dessina sur son visage un sourire mystérieux. Ce vol n'allait cependant pas se faire sans des préparatifs méthodiquement effectués, et il fallait encore qu'elle repère et analyse le système de sécurité de l'établissement.
Elle laissa son rôti et posa ses couverts sur le bord de son assiette d'un geste mesuré, avant de se lever et d'indiquer à Sihir :

- Je vous prie de m'excuser une minute, je vais me repoudrer le nez.

Prenant avec elle sa minaudière, elle se dirigea de sa caractéristique démarche sensuelle vers les toilettes des dames.
Sur le chemin, elle prit bien soin de dénicher chacune des caméras qui passait à la portée de son regard aiguisé, et c'est avec le sourire inquiétait d'une conspiratrice qu'elle poussa la porte des toilettes. De là, elle prendrait des notes et essaierait de repérer un chemin discret. Comme les conduits d'aération, par exemple. Classique, mais efficace et indémodable! Il allait cependant falloir qu'elle soit rapide. Elle ne voudrait pas que Sihir commence à avoir des soupçons, ni que son repas refroidisse. Au moindre faux-pas de sa part, le goût de ce rôti finement cuisiné pourrait bien se changer en celui amer de la défaite...

Amanda, en grande gardienne de secrets qu'elle était (et ayant également une réputation de femme fatale mystérieuse à préserver), répondit sans vraiment répondre à la question de Sihir.

- Le compliment est touchant, surtout venant d'un professeur aussi impliqué que vous, monsieur Garvan, mais, non, en effet, l'enseignement est une branche que j'ai... "choisi" par concours de circonstances, et non par réelle envie, fit-elle avec un demi-sourire sans que les compliments ne l'atteignent vraiment. Disons que parfois, la vie prend une tournure inattendue. J'imagine que vous serez d'accord avec moi sur ce point, surtout lorsque l'on est témoin de tout ce qu'il se passe à l'Académie... glissa-t-elle ensuite avec un clin d’œil.

A quoi jouait cet intrigant? Le professeur d'arts n'était pas aussi évaporé qu'il semblait vouloir le faire croire, et il était évident pour la voleuse professionnelle qu'il ne posait pas toutes ces questions inocemment. La soupçonnait-il...? Non, impossible, surtout qu'il était chez les Espoirs et qu'il n'avait donc aucun super-pouvoir de détective ou de télépathe. Et jamais la façade qu'elle s'était constitué durant toutes ces années ne flancherait devant un prestidigitateur exubérant, aussi malin et sournois qu'il soit. Enfin, peut-être sous l'emprise de l'alcool, mais ça c'était une autre histoire.

En tous cas, une information intéressante (?) venait de tomber. Ainsi donc, Sihir Garvan avait vécu son enfance dans une troupe de saltimbanques et n'était pas allé à l'école...? C'était le genre de choses dont Amanda n'avait pas grand-chose à faire, mais qui pouvait s'avérer utile en cas d'espionnage ou autre. Connaître son ennemi plus qu'il ne nous connaît, la base de tout bon rapport de force qui se respecte!

- Je vois... commenta Amanda en portant son verre à ses lèvres. Je vous comprends, j'étais plus douée en ingénierie sociale qu'en sciences, à l'époque. Remarquez, c'est sans doute toujours le cas aujourd'hui. Mais le fait est que c'est une chose que l'on apprend plus dans les couloirs du lycée que dans les salles de classe...

Après avoir fini son verre et s'être esquivée, Amanda put commencer son repérage. La prise de note était entièrement visuelle, et les lunettes de Carter s'avérèrent plus qu'utiles dans ce procédé. Le scientifique avait l'habitude de mémoriser des schémas complexes, alors se souvenir du système de sécurité d'un restaurant, tout chic qu'il soit, était un jeu d'enfant. Finalement, même si l'accident avec Carter avait totalement bouleversé, pour ne pas dire "gâché", sa vie, la professeur de sciences savait reconnaître un coup de chance quand elle en voyait un, et même si sa Singularité était plus un sujet à problèmes qu'autre chose cette dernière pouvait s'avérer des plus utiles dans certaines situations comme la présente. Il lui suffit d'un aller-retour aux toilettes, pas plus de trois minutes, pour faire une analyse quasi-complète de tous les obstacles qu'elle pourrait rencontrer lorsqu'elle reviendrait dérober l'objet de sa convoitise.
Un sourire satisfait, elle revint s'asseoir face à Sihir qui souriait beaucoup trop pour que ce qu'il semblait vouloir lui annoncer soit positif... Et cela ne rata pas.

- J'ai parlé avec un employé et j'ai le plaisir de vous annoncer que j'ai maintenant fait l'acquisition de ce magnifique tableau Miss Spencer ! Cela est quelque peu égoïste mais c'est une telle oeuvre ! Je n'ai pu m'empêcher !

Amanda faillit s'étrangler. Et ce n'était pas à cause du rôti.
Quoi?! Comment?! Mais... mais quel... goujat! Quel crétin!! Ce sale type venait de ruiner son casse en trois minutes! Trois. Minutes!! Et il était richissime ou quoi, pour s'offrir un tel objet en un claquement de doigts?!
La professeur eut tout le mal du monde à ne pas afficher toute l'affliction et l'envie de meurtre qui bouillonnaient en elle et parvint avec un effort incommensurable à afficher un sourire aimable, qui avait cependant une touche d'hypocrisie moins invisible que d'ordinaire.

- Oh, vraiment? Je suis contente pour vous, une si belle oeuvre! Elle donnera sans doute très bien dans votre chambre au pensionnat!

Et si l'envie de vengeance devenait trop pressante elle pourrait toujours l'égorger dans son sommeil, après tout ils logeaient au même endroit.
Amanda termina son rôti qui avait à présent un horrible goût de trahison. Comment avait-il osé?! Elle qui allait enfin retrouver une petite étincelle d'adrénaline qui caractérisait si bien son ancienne vie et qu'elle avait presque totalement perdu dans la nouvelle! Un tel acte ne resterait pas impuni... Elle pourrait toujours voler le tableau à Sihir, après tout ce serait un jeu d'enfant maintenant qu'il allait se trouver dans une chambre non loin de la sienne dans un endroit qu'elle connaissait comme sa poche. Le problème serait que dissimuler le tableau par la suite ne serait pas chose facile, d'autant plus que les témoins seraient nombreux à toute heure...
Il fallait se rendre à l'évidence : l'opération tombait à l'eau à cause de cet insolent cinglé. Amanda demanda la carte des desserts au serveur et adressa à son collègue un sourire dissimulant tout un tas de pensées meurtrières.

Sihir Garvan venait, sans doute inconsciemment, de se faire un nouvel ennemi.