« ... ou alors, ces raisons ne sont que des consolations construites par notre esprit pour tolérer l’injustice hasardeuse de ce que nous nommons destinée ? »

Ah, oui, bon, on est professeur de littérature ou on ne l’est pas.

« Ma mère sera la personne qui me manque assurément le plus. Pour le reste, j’ai la conviction qu’il m’appartient de construire le monde qui m’entoure de manière à ce que j’en sois satisfaite. Avoir intégré cette académie me convient tout à fait pour l’instant et j’ai le sentiment que je pourrais m’y épanouir. »

Et c’était vrai, elle se sentait désormais à son aise et heureuse. Les défis du Japon et son adaptation à leur système était stimulant et elle aimait l’ambiance particulière de cet établissement.

« Vous semblez bien déterminé sur la traîtrise du temps, qu’entendez-vous par-là, au juste ? »

Il était difficile pour elle d’appréhender ce qu’on pouvait vivre en traversant de la sorte le temps. La perte de repère pouvait se compenser, surtout sur un sujet jeune, mais il est des blessures d’âme qui sont bien plus compliquée à refermer. Les émotions, la mélancolie qui devait naître sourde. Ce jeune homme avait certainement bien des raisons d’être aussi colérique. Si ce n’était pas acceptable en terme d’autorité scolaire, c’était on ne peut plus compréhensible. Katherine ne s’attendait pas à des progrès fulgurant de sa part, mais elle espérait qu’il sache s’adapter.

D'expérience, elle savait que sa confiance inébranlable en elle pouvait sembler agaçante parfois. Elle pouvait être confondue, prise pour de l’arrogance ou de la froideur. Ce n'était pas le cas. Cette confiance naissait de son expérience de vie. Elle était certaine de toujours savoir s’adapter et passer à une chose suivante sans sourciller. Un pas après l’autre, qu’importe la difficulté. La résilience était une qualité profonde qui l’animait. Ou alors était-ce un défaut, voilà une autre question sur laquelle philosopher.

Elle prit le temps de réfléchir. Cette sensation de marcher sur un champ de mine avec une grenade dégoupillée en main était assez déplaisante. Quoiqu’elle se sentirait presque plus à l’aise avec la grenade dégoupillée... Tout ça pour dire qu’elle voyait vaguement la partie immergée de l’iceberg que représentait cet élève. Il y avait là de quoi jouer de beaux drames, du style d’Antigone et autre tragédies grecques, mais elle n’était pas sûre que de lui faire l’analogie l’aiderait.

Elle rejoignit le jeune homme, parachevant sa réflexion en marchant.

« Je comprends. » Elle le pouvait réellement. « Il s’agit là d’une question de responsabilité et de conscience de soi. »

« J’ai accepté mes choix et les conséquences qu’ils ont eus. J’ai pardonné ceux que j’ai subis. Cela m’a pris un certain temps cela dit. »

« Ces choix, même en ne maîtrisant pas le temps, on en fait. Ils sont bien plus terribles encore, car je n’ai pas la capacité de cliquer sur annuler. Quoique nous fassions, nos actions impactent notre entourage direct ou indirect. Il est important de faire ce qui vous semble le mieux, même si plus tard vous réalisez qu’un second choix aurait été meilleur, vous pourrez vous souvenir qu’avec les éléments que vous aviez, ce choix-là était le meilleur à ce moment-là. »

« Même en prédisant l’avenir, cela me semble compliqué et totalement utopique, de maîtriser autant de facteur qui échappent à votre commandement. »

Penchant la tête en arrière, elle continua.

« Il faut savoir lâcher prise. Accepter de ne pas tout contrôler. S’accepter soi-même, le bien comme le mauvais. Les choix seront bien plus simples… »

« En attendant, si vous avez un doute, vous pouvez toujours venir me consulter… En ce qui me concerne, je suis persuadée que votre don est un cadeau plutôt qu’une malédiction…»

Elle lui offrit un sourire sincère. Pouvoir modifier le cours du temps était une chose incroyable. Il était saint et normal qu’il se pose autant de question, mais une fois qu’il aura dépassé cette peur qui le musèle, il pourra très certainement en prendre conscience plus tard. Peut-être était-ce l'injustice d'avoir un pouvoir qui semble si incroyable et d'être tout de même frustré de ne pas pouvoir faire mieux.

« Ah et… à présent que je connais votre talent… il n’est plus admissible que vous arriviez en retard à mon cours. » Le ton était sérieux, il y avait certainement une part d’amusement, mais l’affirmation n’avait rien d’une plaisanterie. Gare à lui !

« Excellent. »

Elle afficha un large sourire, visiblement très heureuse de sa capitulation. Il n’était ni condescendant, ni moqueur, simplement satisfait. Il n'y avait pas de contre argument à sa demande et il n'en avait pas cherché. Il fallait dire qu’elle était elle-même assez fière de sa manière d’amener la chose. Une stratégie pratiquement parfaite.

« Je pense que nous avons terminé. » Conclut-elle. Beaucoup avait été fait, cette engagement était une excellente finalité. Elle ne voulait pas le pousser ou se montrer trop insistante.

Le jeune homme lui avait beaucoup confié et elle était touchée qu'il lui fasse ainsi confiance. En y réfléchissant, cette punition s'était montrée bien plus instructive que prévu. Elle pensait avoir affaire à un adolescent rebelle classique, mais elle avait découvert l'envers du décor. Le passé et la vie de Léo expliquaient bien des choses. Dans tous les cas, elle espérait que cela aura pu l'aider un peu et qu'il pourra réussir sa scolarité et retrouver un peu de sérénité.

« A moins que vous n’ayez envie de poursuivre cette discussion ? » Ajouta-t-elle.

Si le jeune homme voulait continuer à parler ou en ressentait le besoin, elle n’était pas contre poursuivre. Il lui semblait qu’il y avait déjà matière à réfléchir, mais elle préférait lui laisser le choix. Elle se déplaça quelque peu pour jeter la bouteille qu'elle avait désormais terminée. D'un geste empreint d'habitude, elle réajuste le col de sa veste. Seule une mèche qui s’était échappée de sa coiffure témoignait de la course effectuée un peu plus tôt dans le tableau habituel du professeur d’anglais.

Ce sport lui avait donné envie d'aller réellement courir, elle aurait le temps de le faire aujourd'hui et l'idée la réjouit. Si le jeune homme semblait se réfugier dans le dessin, son exutoire à elle était le sport. L'effort physique était une chose qui lui procurait toujours beaucoup de plaisir. Une histoire d'hormone selon les toubibs. Enfin, quel que soit la raison, il était plaisant que son activité de professeur lui laisse largement le temps de s'entraîner.

HRP: