Les doux propos de sa marraine reviennent éclaircir sa mémoire alors que son esprit plonge dans le délicieux breuvage des souvenirs heureux.  S'il est avéré que son peuple vit dans un monde à part, il est clairvoyant que diverses créatures mènent leur existence par delà d'autres univers connus ou inconnus, quoi que puissent en dire les conservateurs et conservatrices dont les pensées étriquées ne peuvent envisager d'autres civilisations. La race humaine leur est acceptable car nombre de ses représentants et représentantes les vénèrent et les respectent à travers des textes sacrés et prières mais le reste ne représente qu'horreur et mensonge à leurs yeux fermés.

Une légère grimace naît sur ses lèvres rosées alors que sa conscience dessine les rouages des sifflements moqueurs et des mots venimeux lancés à son encontre pour avoir osé émettre un rêve. Si son corps et son âme semblent se construire pour la danse, sa nature immortelle lui inspire l'espoir de forger ses connaissances sur les peuples e les coutumes à travers des recherches historiques, archéologiques et sociologiques. Quelle douce vengeance non-violente que de prouver l'immensité des univers et la richesse culturelle des êtres autres que les célestes, les démoniaques et les terrestres.

Le hurlement silencieux s'échappant de sa gorge muette revient brutalement courir en son cœur et le film de sa mémoire se lance en un élan de vif sadisme. Si les insultent volent en toute cruauté, les coups pleuvent avec une intensité bien plus vigoureuse qu'à l'ordinaire. L'éclat d'une lame d'argent brille du côté de son oreille droite avant qu'une lancinante douleur  ne traverse brutalement son corps à la manière d'une charge électrique. Un flot de sang s'écoule sur le sol nuageux alors que le cri de souffrance s'étrangle dans sa trachée incapable du moindre son. À travers la brume de ses yeux brouillés par les larmes d'une insoutenable douleur, la fine silhouette s'interpose et une douce lueur bleutée touche les corps avant qu'ils ne soient littéralement expulsés quelques mètres plus loin. La voix chaude et rassurante de sa marraine résonne en des ordres froids alors que les jambes des bourreaux improvisés filent lâchement sans demander leur reste. Ses doigts fins effleurent les taches d'hémoglobine avant qu'une sensation de bien-être ne vibre à même son corps.

Suite à cette tentative de mutilation étrangement non ébruitée sur tous les toits, une fine marque rougeâtre se peint entre son œil droit et son oreille  mais bien dissimulée sous sa peau naturellement brûlée par le soleil, seuls les yeux perçants l'approchant de près peuvent la détecter. La douleur reflue en son esprit alors que ses doigts s'agitent nerveusement comme en réaction à des maux bien trop souvent ressentis. Combien de fois ont-ils été écrasés, brisés et manqués d'être broyés pour le vil plaisir d'êtres aux âmes fermées ? Des traces subsistent encore à travers son épiderme bronzé, comment sa mémoire pourrait-elle oublier une telle torture ?

Les songes douloureux s'imposant violemment à son esprit, l'ange au genre indéterminé secoue légèrement la tête en faisant voleter ses mèches incendiaires. Rattrapant le fil de ses pensées initiales, ses doigts fins signent son étourderie  d'avoir occulté, l'espace d'n instant, l'existence de mondes parallèles pour expliquer leur différence de points de vue concernant l'histoire de l'ange déchu Lucifer. Un discret sourire naissant sur les lèvres de l'adolescente au regard d'acier, elle en est remerciée par la tendresse étincelante au creux des yeux d'améthyste de l'androgyne.

La gêne et la honte disparaissent de son discours signé comme n'y ayant plus leur place. Ses explications sur la déchéance et ses conséquences pourraient être traitées de fantaisistes pour bon nombre d'âmes de son peuple d'origine mais combien sont suffisamment lâches pour refuser d'ouvrir la yeux sur la vérité embrasant leurs esprit s ? Si des millions d'anges n'ont pas hésité autrefois à tout laisser derrière eux et elles pour suivre la créature la plus parfaite du Paradis, combien ont fait semblant de les fustiger en enviant leur liberté au fond ? Combien regrettent leur absence de courage alors que les griffes invisibles du Seigneur se referment peu à peu sur leur existence ?

Les propos silencieux vont bien plus loin qu'une simple imagination adolescente en retournant un doigt dénonciateur contre le Tout-Puissant de son univers. Omnipotent et omniprésent, les tortures et mutilations subies durant son enfance n'ont pas pu lui échapper alors pourquoi n'est-IL pas intervenu ? Le harcèlement et la haine farouche de son peuple contre deux enfants l'auraient-il arrangé afin de détourner leurs pensées d'une possible rébellion à son égard et une mollesse à se laisser enfermer sans répliquer ? Couple uni dans l'amour de leur enfant et de leur nièce,  serait-il possible que leur vie ait été arrachée afin de taire éternellement leur défense envers le duo ?

- C’est de la théorie… On verra bien avec un peu de temps supplémentaire… J’espère… Je suis néanmoins désolée d’apprendre pour tes parents et pour tout ce que vous avez vécu avec Sisi. Je sais cependant ce que c’est que de perdre quelqu’un de cher à notre cœur. Un parent ou un membre de sa famille.

Un éclat de chagrin et de mélancolie brille au coin de son regard violet dans une tentative inconsciente d'y noyer la jeune femme aux cheveux bicolores. Un soupir silencieux s'échappe d'entre ses lèvres closes avant que ses doigts maigres ne commencent leur superbe chorégraphie habituelle et que la voix artificielle ne traverse l'atmosphère.

- Ze vous n'adweche négalement toutes mes londoléanches pou vos pwoches...Mes pawents n'ont touzouws tout fait pou défendwe Sisi n'y moi n'y l'ont payé chewe....Pawfois, ze me dis que ze n'auwai dû naîtwe, ma naichance ne leu n'a appoté malheu... (Je vous adresse également toutes mes condoléances pour vos proches...Mes parents ont toujours tout fait pour défendre Sisi et moi et l'ont payé cher...Parfois, je me dis que je n'aurais jamais dû naître, ma naissance ne leur a apporté que du malheur...)

La souffrance latente d'avoir osé survivre à un évènement tragique n'a de cesse de ronger son âme depuis des mois  pour mieux la dévorer à coups de crocs perfides. Des flammes de tristesse dansent au creux de ses yeux d'améthyste alors que son cœur se serre en une mélancolie anthropophage. Si seulement son père avait été stérile, si seulement sa mère avait fait une fausse couche au lieu de conjurer leurs efforts à mettre au monde une telle aberration ! Le doute atroce rognant son esprit en permanence lui souffle que sans cette existence maudite, sa cousine Syria, unique soleil de sa vie, aurait affronté seule un cauchemar insoutenable ou ne serait jamais née pour être son point d'ancrage lumineux dans les ténèbres.

Remettant un pied dans la réalité et s'éloignant du flot de ses souvenirs, son regard d'une merveille d'eau violacée se plante dans les iris d'acier avec mille respects. Les mots dangereux s'échappent d'entre ses phalanges gracieuses alors que les trait fins de son visage ne laissent filtrer aucune once de peur. Si les jambes de son peuple sont bien vissées au sol dans une droiture et une détermination se voulant impressionnante, leur volonté s'effondre comme un château de cartes lorsqu'il s'agit de passer à l'action. Leurs belles promesses de surveillance et de répression se sont envolées dès que leurs yeux se sont posées sur sa silhouette maudite.

Leurs entrailles se tordent à la seule évocation de l'un de ses multiples surnoms ou de son titre et les cœurs manquent de s'arracher hors de leurs poitrines tremblantes.  Le rythme de leur respiration s'enflamme tandis que les peaux blêmissent en moins d'une seconde comme dénues de toute vie. La frayeur absolue se dessine sur tous les visages et les pleurs de panique suffoquent en leurs gorges sèches. Si l'obéissance au Tout-Puissant se plie au respect, au dévouement et à une certaine part de crainte, celle offerte à sa "petite-fille" puise ses origines dans la peur qu'elle inspire par son absence ou sa présence.

- Pourquoi donc ? Si ce n’est pas indiscret ? Vous avez une formation à suivre ? Bordel, j’ai tellement de question à te poser mais je ne sais pas du tout si c’est indiscret ou non…

Les questions s'enchaînent en vitesse dans la bouche de la jeune femme sous le sourire amusé de l'être céleste aux mèches rousses. Une lueur joyeuse éclaire ses yeux violets alors qu'un large rictus  enfantin se dessine sur son visage naturellement hâlé par le soleil brûlant. Un rire d'une fraîcheur innocente s'échappe de sa gorge en silence, ses lèvres closes incapables d'exprimer le moindre son mais sa tête rejetée en arrière et les légers soubresauts agitant le haut de son corps ne masquent rien de son hilarité candide. Noyant l'adolescente dans la mare violette de son regard profond, ses doigts s'agitent gracieusement.

- Wapellez-vous nan z'ai pwêté chément...Ze vous z'ai pwomis chinchewité et pas vous menti...Vous z'avez dwoit poser neschions vous voulez, z'a zuwé chu ma vie vous wépondwe ni n'êtwe touzouws là pou vous... Né voulez-vous chavoi ? (Rappelez-vous quand j'ai prêté serment...Je vous ai promis sincérité et de ne pas mentir...Vous avez le droit de poser les questions que vous voulez, j'ai juré sur ma vie d'y répondre et d'être toujours là pour vous...Que voulez-vous savoir ? )

L'adolescente aurait presque pu croire à un piège tant l'innocence de l'androgyne est désarmante  des êtres vils pourraient y dissimuler un double jeu mais les yeux violets à s'y noyer de plaisir brillent avec bien trop de candeur pour être hypocrites. Son doux sourire est pareil à celui d'un ou d'une enfant à qui l'adulte demande si la journée s'est bien passée après une sortie ou autre activité plaisante. Comment pourrait-elle se croire en danger ou porter le moindre jugement de méfiance à son égard ?


Le visage virant à l'immaculé, comme ses cheveux de neige, la jeune cousine de l'androgyne est forcée de s'allonger sur le sol alors que l'air se raréfie en ses poumons submergés par une peur indescriptible. L'anxiété monte  rythme infernal pour bloquer sa respiration et manquer d'arracher son cœur à sa poitrine généreuse. Inspirant et expirant avec mille difficultés, des gouttes de fièvre perlent sur son front sans que l'être céleste et son loup blanc majestueux ne laissent trahir le moindre signe d'inquiétude.  Sa main bronzée caressant la paume de l'adolescente, ses yeux violets surveillent attentivement le moindre soubresaut anormal alors que le canidé s'éloigne quelques instants. Revenant après quelques secondes, les babines soudainement gonflées, il déverse doucement de l'eau sur le visage fiévreux de l'enfant. Un sursaut l'agite sous l'effet de la surprise avant qu'un tendre contact sur sa main ne la ramène lentement au calme.  

Les doigts bronzés dansent de mille grâces pour soulager le cœur lourd de chagrins de la jeune femme aux cheveux de neige. Les mots affectueux s’enchaînent sans honte ni hypocrisie alors qu'un large sourire éclaire le visage androgyne. Une complicité évidente lie leurs deux âmes dans une entent fraternelle et sorore des plus bienveillantes sans que leurs esprits ne pensent à mal.

Les yeux violets rencontrent le visage fermé de l'adolescente au regard d'acier et une expression de mille reconnaissances se dessine sur ses traits indéterminés comme pour la remercier de ne pas s'être rapprochée de sa cousine au vu de sa panique évidente. Discrètement, ses doigts signent un tableau d'excuses dans le dos de cette dernière pour s'excuser de la délaisser quelques temps. Alors que les tremblements agitent moins le corps aux vêtements immaculés, l'être céleste aux mèches incendiaires hoche secrètement la tête dans la direction de son interlocutrice principale alors qu'un murmure artificiel s'échappe d'entre ses doigts dans un "Merci" soufflé avec tendresse.

Les joues cramoisies et les yeux aussi clos que ses lèvres, la prénommée Syria s'incline devant l'amie de l'ange androgyne avec respect et une gêne palpable comme ne se sentant pas légitime de signer pour elle. Son absence d'estime de soi sonne en clairvoyance quand sa langue des signes semble incapable de l'identifier à la première personne du singulier mais la désignant elle-même par son surnom. Qui a bien pu se déchaîner sur elle pour que son identité lui soit niée à ce point et que ses propres yeux lui inspirent répugnance et horreur ? Qui a pu bien souffler sur les braises du cauchemar pour que même l'être ni masculin ni féminin en arrive à regretter sa naissance ?

- Tu ne me dois rien, tu sais ? Il n’y a pas de question de dignité pour l’amitié, cela n’a pas de rapport avec ceci. Donc, dis-toi que tu ne me dois rien, rien d’autre que des paroles franches.

Une tomate n'aurait pas fait tant l'effort de rougir sous un soleil de plomb que l'adolescente terrorisée à cet instant.  Le rouge lui montant au visage jusqu'à la racine de ses mèches immaculées, de la fumée pourrait presque s'extirper de ses oreilles, alors qu'elle se réfugie derrière le dos aux ailes déployées de l'ange au genre mystère. Face à elle, la prénommée Tenshi s'incline dans un désir de politesse reliant son cœur et son sourire sincère.

Comme profondément hésitante et incapable de prendre une décision au sein d'une situation mal connue et horriblement stressant pour elle, la jeune femme tourne de nouveau ses yeux clos vers l'être aux traits trompeurs.  Ses doigts s'agitent silencieusement en des signes incompréhensibles alors qu'un tendre sourire s'étire sur les lèvres de l'ange androgyne. Déposant un doux baiser sur son front comme pour la rassurer, sa bouche demeure close alors que la voix artificielle revient traverser les alentours.

- Sisi...Ze chais tu ne les z'aimes pas mais...Chouviens toi tu n'as les plus beaux zyeux monde...N'aux miens n'en tout las n'y cheux ta maman...Z'ai donné n'un penlentif n'a Malame Lenshi pache z'ai nonfiznce n'en elle...N'elle ne chewa zamaiz nomme cheuxc n'y chelles n'ayant pwéféré haï tes zyeux nûlôt n'acchumer vélité...Tu n'as CHES zyeux... (Sisi...Je sais que tu ne les aimes pas mais...Souviens toi que tu as les plus beaux yeux du monde...Aux miens en tout cas et à ceux de ta maman...J'ai donné un pendentif à Madame Tenshi parce que j'ai confiance en elle...Elle ne sera jamais comme ceux et celles qui ont préféré haïr tes yeux plutôt que d'assumer la vérité...Tu as SES yeux !" )

La langue de ses doigts sonnerait beaucoup moins belle si elle n'était pas accompagnée de son regard franc où brille une tendresse inouïe. Amour familial et affection luisent à travers ses grands yeux d'améthyste alors que sa dame moineau vient chanter auprès de ses oreilles comme pour approuver ses propos signés. Hochant la tête face au visage interrogatif de sa cousine, son regard se tourne ensuite vers sa collègue nocturne, le poing sur le cœur comme pour la remercier d'être naturelle.

Plusieurs secondes nécessitent encore à  l'être immaculée pour calmer le rouge lui étant monté violemment aux joues et sa respiration fébrile. Jouant nerveusement avec une longue mèche enneigée, sa tête aux pupilles fermées, alterne entre la jeune femme archère et l'ange au genre indéterminé comme à la recherche d'un point où se poser sans paraître impolie ou créer du dérangement.  Ses doigts tremblent doucement alors qu'elle signe avec hésitation,  en rougissant encore légèrement.

- Sisi va n'echayer...l'êtwe n'amie ligne che nom...Robin n'a nonné vous penlentif n'alow Sisi doit pas menti...Sisi va n'échayer...l'êtwe nouwegeuze... (Sisi va essayer...d'être une amie digne de ce nom...Robin vous a donné le pendentif alors Sisi ne doit pas mentir...Sisi va essayer...d'être courageuse)

Une boule de nervosité nouant son ventre et des tremblements agitant son corps à la manière de frissons de fièvre, sa respiration s'emballe à un rythme infernal comme attrapée par une vive panique. Le Diable pourrait danser sur son cœur qu'il ne lui procurerait pas autant de souffrance qu'à vouloir s'extirper hors de sa poitrine avec violence alors que ses poumons enflammés peinent à capturer chaque inspiration et à rejeter quelques gouttes invisibles d'expiration. Une douce main tenant délicatement la sienne lui arrache un soubresaut et ses yeux clos se tourne instinctivement vers l'être androgyne dont le visage bronzé dessine un large sourire empli de tendresse.  Son regard violet la noie dans une telle rivière de douceur et de confiance qu'une sensation de bien-être vient apaiser ses veines à vif et détendre ses muscles contractés. Relâchant la pression, son rythme cardiaque revient valser sur des notes plus paisibles alors que son souffle récupère l'air tant manqué pour s'engouffrer dans son thorax avec délice.

Aspirant la fraîcheur de l'atmosphère et la douce lueur du soleil, l'adolescente à la chevelure de neige baisse la tête avant de la relever pour basculer son interlocutrice au creux d'un nouveau monde. Ses paupières papillonnant doucement sous la lumière du jour avant que les rayons solaires ne tentent de s'en emparer avant d'être rejetés à leur grand désarroi. La lueur du soleil, éternel astre brûlant, n'effleure même pas la cornée avant d'être littéralement déviée par bien plus puissant que lui.

Les iris d'acier croisent ceux de la jeune femme et sans qu'elle ne puisse en avoir conscience, une formidable attraction la pousse à s'y plonger au risque de se noyer. Aucune couleur n'habille ces étranges pupilles, la transparence du diamant à l'état pur. Un adage prétend que les yeux sont le miroir de l'âme mais que contient celle de l'enfant pour disposer d'un tel don divin ? Le regard de cristal renvoie en reflet toutes les images l'entourant dans une réplique exacte pareil à une glace artificielle. Les deux diamants étincelants sur son visage naturellement halé dessinent et dévorent le paysage autour d'elle  y compris l'adolescente aux cheveux bicolores.

La puissance attractive de ces cristaux pourrait pousser n'importe qui au bord de la folie ou l'emmener sur les chemins de la haine afin de se détacher de ces reflets maudits porteurs de vérité sans fourberie ou mensonges. La vérité mise à nu, impossible de mentir face à ses yeux transparents à la grande horreur de nombreuses âmes incapables de se remettre en question. Combiné aux pierres d'améthyste brillant à travers la peau bronzé de l'androgyne aux mèches rousses, leur duo d'une pureté parfaite est bien plus redoutable qu'il n'y parait de prime abord. Sans jamais lâcher la prénommée Tenshi du regard, en dépit de ses joues rouges de timidité, ses oreilles perçoivent la voix artificielle de la langue des signes à ses côtés.

- Tu n'es magnifile, Sisi...N'aies zamais honte toi....Tu n'as CHON wegad pawfait né tu peux n'en n'ête fièwe... (Tu es magnifique, Sisi...N'aies jamais honte de toi...Tu as SON regard parfait et tu peux en être fière...)

Les mots bienveillants sonnent à son cœur et l'adolescente aux mèches immaculées détourne son regard de l'archère nocturne pour renvoyer un large sourire enfantin à l'être les ayant signé avec sincérité. La formidable force d'attractivité de ses yeux se brise à la seconde où elle tourne la tête, délivrant ainsi la jeune femme de son emprisonnement involontaire. Si l'ange au prénom mixte dispose déjà de pupilles ensorcelantes à bien des égards, sa cousine dispose d'un pouvoir infinie sans même en avoir conscience. Leurs deux regards alliés ensemble n'en sont que plus redoutables et efficaces, seule leur pure innocence les empêche de les utiliser à de mauvaises fins et de comprendre la force  captivantes de leurs iris.

Si dans la nature humaine, il est impossible de connaitre avec précision les sentiments des autres avec leurs taux et degrés de souffrance ou de joie, peut-être son esprit bénéficie t-il d'une exception. Si tout en son âme hurle à la différence et à ses origines surnaturelles, son cœur brûle d'une cascade infinie d'émotions où elles coulent dans un abyme sans fond. Comment nier la puissance du ressenti quand une impression d'incendie à la fois bourreau et bénéfique vous enserre le corps à chaque instant ? Peut-être que son passé éclaire désormais son présent pour gratifier son âme d'un don bienveillant mais ô combien maudit au fond ? Combien de fois son esprit manquera t-il de basculer au bord de la folie pour embraser les émois s'agitant dans tous les recoins de son être ?

Les émotions brouillonnes de sa compagne au regard d'acier frappent à la porte de son cœur pour l'y noyer sous un déluge des plus incompréhensibles à son esprit naïf. Les souffrances du passé se mêlent toujours au présent dans chacune de leurs deux vies bien que leurs réactions diffèrent totalement. Si la première vit toujours dans son histoire et exprime même des regrets nostalgiques sur sa vie d'avant, l'autre ne le renie mais préfère s'en servir pour apporter son aide à celles et ceux en ayant besoin. Après toute une existence aux creux des ténèbres des souffrances infligées par son peuple, peut-être serait-il temps que l'être au genre indéterminé s'élève en pleine lumière ? À contrario, pourquoi une guerrière aussi accomplie que la jeune femme semble déterminée à demeurer dans l'ombre en dépit de ses capacités lumineuses auparavant valorisées ? Elle a connu la guerre dans toute son horreur quand son existence même sonne comme un conflit au creux de son monde. Elle a dû défendre son univers quand vouloir juste l'audace de vivre sereinement est comme une insulte. La cohabitation entre la nuit et le jour n'a jamais été simple, ne pouvant se mélanger entièrement, mais comment se fait-il que cette impression d'homogénéité parfaite n'a de cesse de lui enserrer le cœur ? Est-ce seulement possible d'être à la fois différents mais complémentaires ?

Au sein du monde de la jeune femme aux mèches bicolores, le nom de Lucifer porte un écho terrifiant où résonne encore les derniers murmures d'agonie des mourants et mourantes alors que les pensées des âmes survivantes sont ravagées par les souvenirs sanglants où s'aliènent souffrance et cauchemars. Les écrits et propos oraux de son royaume d'origine ne tarissent pas d'éloge sur le porteur de lumière, grand guerrier et magicien invaincu, avant que la déchéance n'embrase son âme avec des milliers d'autres. Si la convergence des dimensions n'est plus une théorie à prouver, la connaissance de deux faits radicalement différents concernant un être unique lui semble encore invraisemblable par moments. Peut-être son esprit s'est-il distendu entre les bienfaits et les méfaits lors de l'arrivée des anges déchus aux Enfers ?

Les mots de sa marraine résonnent encore en sa mémoire longtemps embrouillée par les larmes. Des milliers d'années après le jour de la grande déchéance, les surpuissants pouvoirs de l'ange le plus parfait de la Création n'étaient jamais revenus avant le jour de naissance. Pour la première fois, son arc s'était manifesté comme pour fêter un événement connu de lui-seul dans toute son inconscience d'objet animé par une magie éternelle. Les anges de la première génération n'ont pu que le reconnaître sur le bout des lèvres comme un crachat des plus méprisables. Celui qui est désormais le plus grand rival du Tout-Puissant bénéficiait d'une empathie exceptionnelle auprès de tous les êtres vivants et son talent d'archer n'était plus à prouver. À sa mort en tant qu'être céleste, il aurait laissé entendre que ses pouvoirs et dons ne reviendront qu'à des êtres dont les veines couvriraient son propre sang. La créature androgyne n'a jamais oublié les propos de son éducatrice principale, l'ange gardienne Masha : sa naissance n'a pas été, n'est pas et ne sera jamais un hasard.

Secouant mentalement la tête devant l'afflux de ces souvenirs, l'ange aux mèches enflammées ne peut adhérer entièrement à ces idées fantaisistes en dépit de son admiration pour l'être rebelle ayant préféré l'incertitude de son sort plutôt que d'encore s'agenouiller devant le Seigneur. Comment une hémoglobine aussi noble et puissante pourrait couler en son corps quand le prénom de Lucifer n'existe plus officiellement après sa renaissance démoniaque ? Pour sa cousine née en ce même jour ensoleillé, qu'en serait-il dans ce cas là ? La réponse mordante parvient instantanément à ses pensées alors que ses yeux s'écarquillent devant l'incompréhension générée par ses propres réflexions.  L'adolescente adorée par dessus tout au sein de son cœur lui est semblable sur le plan empathique et la puissance de ses pouvoirs encore latents  sera presque similaire à la sienne.  Impossible...cela voudrait dire que...

- Je suis persuadée que les choses n’auraient pas été différentes. Tu n’as pas à te blâmer ou à avoir ce genre de pensée. Si cela n’avait pas été toi, ils auraient sans doute eut un autre enfant et le résultat aurait été le même. A la seule différence est que tu n’aurais pas existé(e). Je pense qu’il aurait été dommage que tu ne sois pas la personne à voir le jour. Qui sait ce qui aurait pu se passer ? Je ne sais pas du tout ce qui t’es arrivé, je ne sais pas comment tu réagissais vis-à-vis de tout ceci, mais imagine un instant que la personne à ta place soit violente ? Les choses auraient très certainement dégénérées encore plus.

Les paroles soudaines de son amie nocturne l'extirpent de ses pensées dangereuses où les postes de réflexions et conclusions ne manqueraient pas de l'effrayer par leur invraisemblance rassurante et leur véracité pourtant si puissante. Ses paupières papillonnent quelques instants pour s'échapper de ses songes alors que sa mémoire se permet une réécoute du discours afin de mieux s'en imprégner. Si ses parents avaient un ou une autre enfant, comment ne pas se persuader de leur bonheur comparé à un être androgyne dont la défense leur a littéralement coûté la vie ? Une vague de tristesse s'échoue sur la plage violacée de ses yeux dont les larmes brillants au coin illustrent l'écume salée ô combien douloureuse. Avant même que ses doigts n'aient pu esquisser le moindre début de signe, la jeune femme s'inspire de sa première lancée pour se déverser en théories censées avoir un effet déculpabilisant.

- Je n’ai pas connu mes parents à cause de la guerre, mais notre tuteur s’est considéré comme un père, ou du moins, comme quelqu’un qui s’en rapprochait le plus. C’est sans doute le cas de tous les parents, mais dès que leur enfant est en dangers, ce sont de loin les personnes qui se mettent le plus rapidement entre eux et le danger, quitte à trépasser. Je sais que ce n’est sans doute pas la chose la plus agréable à entendre, surtout d’une personne qui ne connait que la violence et ignore tout d’une relation de famille à proprement parler, mais ça me semblait important à dire. Je suis désolée si jamais je finis par te choquer avec mes dires.

Pourquoi décrier d'autres synonymes ou les taire pour ne pas froisser son ego meurtri et inexistant quand le plus significatif est bien celui évoqué ? Comment oublier le cadavre masculin couché dans l'entrée, une mare d'hémoglobine coulant tout autour de lui ? Impossible de nier la souffrance physique et psychologique  alors que le long poignard s'enfonçait dans le cœur maternel tant aimé. L'esprit et le corps ravagés par la torture éprouvée lors de leur tout dernier instant, seule la main assassine avait refusé sa mort par empathie pour mieux l'achever elle-même. Son cou se souvient encore de la sensation des doigts brûlant serrés et de l'impression que son âme s'envolait avec légèreté  avant qu'un bref choc ne l'oblige brutalement à réintégrer son être. La respiration reprenant vie en ses poumons était semblable à un incendie ardent alors que ses oreilles bourdonnantes entendaient péniblement le son d'une agitation inconnue.

Sans l'instinct providentiel de sa marraine, ses jours lui ont été épargnés mais face au sacrifice de la haine vengeresse, sa propre mort n'aurait été que la suite logique du mépris littéralement craché  à même son existence. Bourreaux et collaboratrices auraient tant voulu brûler définitivement sa vie, les propos lui reprochant le meurtre cisaillent encore son âme dans un équilibre précaire entre l'envie de s'en sortir et les folies suicidaires. Un triste soupir silencieux s'extirpe d'entre ses lèvres fermées alors que ses doigts s'agitent, les yeux violacés plongés à même les iris d'acier de l'adolescente.

- Chan moi, mes pawents n'auwaient pas eu chacwifier leu vies ni honneu...Vous ne me cholez pas....Z'ai n'auchi nonnu la violenche, z'ai wefusé l'utiliser nontwe mes bouwweaux, ze ne voulais pas me wabaicher nà leur niveaaux...Wésutats, les péchonnes n'ayant out fait pou me pwotézer chont pawties...Parche n'il et n'elle z'ont léfendu Sisi n'aimée autant moi...Z'auwais voulu la pwotézer n'encore pluche... (Sans moi, mes parents n'auraient pas eu à sacrifier leurs vies et leur honneur...Vous ne me choquez pas...J'ai aussi connu la violence, j'ai refusé de l'utiliser contre mes bourreaux, je ne voulais pas me rabaisser à leur niveau...Résultats, les personnes ayant tout fait pour me protéger sont parties...Parce qu'il et elle ont défendu Sisi aimée autant que moi...J'aurais voulu la protéger encore plus...)

Pour les esprits connaissant un tant soi peu les bases de la psychologie, la notion de "culpabilité du survivant/de la survivante" s'impose presque instantanément. Coupable d'avoir survécu à un massacre, coupable de ne pas avoir su répliquer face au malheureux hasard ayant décimé les autres et coupable d'essayer de se relever quand tant de mains voudraient vous maintenir à terre. Si son âme ignore encore les motivations de ses parents d'avoir voulu défendre à tout prix l'aberration de son existence, son amour profond à leur égard ne laisse planer aucun doute. Pour les enfants orphelins et orphelines, le manque sonne atroce et insoutenable et pour l'être androgyne ayant littéralement assisté à la scène,  l'impression d'en être responsable double comparé aux décès dits lambdas.

Sans que sa mémoire ne se rappelle exactement de tout, elle lui souffle le souvenir de sa promesse d'honnêteté et de franchises envers la jeune femme en cas d'interrogations de sa part. Après tout, son cœur et sa raison n'ont rien à cacher et à ses yeux innocents d'enfant, il est bien plus agréable d'opérer ainsi que de se sentir en torture psychologique pour extorquer quelques brides d'informations.  Combien de fois les coups et les insultes ont eu raison de sa résistance pour l'obliger à cracher sur sa propre vie et la teindre d'une immense dose de mépris de soi ? S'attendant presque à une fouille bien plus intrusive sur son passée, la question de sa compagne résonne comme inattendue.  

-Quand tu fais mention de « La fille du traître et la reine de son royaume ? » Il s’agit de votre tuteur, tutrice ? Qui est le traître en question, Lucifer ?

Un faible sourire à la morsure ironique éclaire ses lèvres l'espace d'une seconde avant qu'un tsunami de mélancolie n'envahisse son regard d'une mare d'eau couleur améthyste.  Inconsciemment, ses pensées avaient esquissé l'histoire de son idole vue par ses détracteurs et détractrices. Combien de son peuple ont renié leur admiration pour l'ange le plus parfait de la Création pour se léguer du côté du Tout-Puissant par une forme de crainte et de lâcheté ? Pourtant, s'il y a bien une personne terrifiant encore plus les hommes et femmes célestes que le Seigneur lui-même, c'est bien elle...

-N'une gwande pawtie miens n'y miennes pawle de Luchife comme n'un twaitwe n'en effet, ch'est comme n'un chunom...Luchife n'a fait n'expwimer dési libewté que nous voulons touches et toutches mais les z'anges pwéfèwent le nier...Quand ze pawle cha fille...Z'évoque bien n'une péchonne wéelle...La lézende veut Luchife n'a eu deux filles n'y deux fils...Les quate n'effwaient min peuple mais n'au moins ils n'y elles chont libwes...Offichiellement, mes  tutwiches chont ma tante, la maman de Sisi, ni note mawwaine mais ichi....Dizons nous bénéfichions pwotechion spéchiale...  (Une grande partie des miens et miennes parle de Lucifer comme un traitre en effet, c'est comme un surnom...Lucifer n'a fait qu'exprimer des désirs que nous avons tous et toutes mais les anges préfèrent le nier...Quand je parle de sa fille, j'évoque bien une personne réelle...La légende veut que Lucifer ai eu deux filles et deux fils...Les quatre effraient mon peuple mais au moins, ils et elles sont libres...Officiellement, mes tutrices dont ma tante, la maman de Sisi, et notre marraine mais ici...Disons que nous bénéficions d'une protection spéciale. )

Bien que son âme soit liée à sa promesse de répondre sincèrement à toutes les questions de la jeune femme, ses doigts signent avec attention et veillent aux excès . Au sein des mondes magiques, il n'est plus secret que l'ange déchu devenu démon a pu donner vie à quatre enfants grâce à sa compagne infernale mais l'accuser de trahison ne serait-il pas de trop au vu de son passé ? S'étant affranchi de l'autorité suprême du Tout-Puissant au nom due la liberté de mener sa propre existence, il en a payé le lourd tribu en perdant ses ailes célestes mais n'a t-il pas gagné bien mieux au final ? La prise de risque et le désir d'émancipation sont des plus admirables pour l'être androgyne, son esprit sait combien il n'aurait jamais hésité à suivre son idole s'il avait connu cette époque lointaine.  

- Je ne peux cependant pas accepter de poser toutes les questions qui me traversent l’esprit, si jamais tu en as à mon égard, je ne pourrais pas y répondre totalement dans un premier temps.

L'honnêteté et la sincérité de l'adolescente résonnent dans chacun de ses mots sous le sourire bienveillant de la créature céleste aux mèches incendiaires. Inclinant le torse en une forme de révérence assise, ses doigts dessinent rapidement quelques signes aux sons écorchés.

- Ma pwomeche n'echiste pas pou achouvi n'une nelonque cuwiosité de ma pawt...N'elle est là pache z'ai n'envie d'êtwe chinchèwe navé vous...Ze ne vous demandewai zamais me wende la paweille... (Ma promesse n'existe pas pour assouvir une quelconque curiosité de ma part. Elle n'est là parce que j'ai envie d'être sincère avec vous...Je ne vous demanderai jamais de me rendre la pareille)

La générosité de son âme brille d'un éclat presque surnaturel autour de son corps au genre indéterminé. Offrant beaucoup sans rien exiger en retour, sa bienveillance naturelle aurait pu lui coûter la vie tant elle était un surplus insupportable pour ses bourreaux. Son cœur bat lentement comme sur une danse émouvante où seules les larmes interviennent après un tel don de soi.


Ses pensées analysant rapidement les réactions paniquées de la jeune fille, l'archère conserve naturellement une certaine distance physique entre leurs deux corps. Leur relation, toute nouvelle et fragile, ne peut égaler la puissance du lien unissant la jeune phobique et l'androgyne au regard d'améthyste. N'en ressentant ni l'envie ni le besoin de pénétrer en leur bulle d'intimité, elle en est remerciée silencieusement par un hochement de tête et un tendre sourire de la part de son duo diurne.

Sur le plan humain, il est clairvoyant que l'adolescente aux pupilles d'argent est légèrement plus âgé que les deux autres et que cette différence s'inscrit aussi dans sa maturité vis-à-vis des situations vécues par chacun et chacune. À genoux à même l'herbe tendre, sa voix douce résonne avec encouragement et bienveillance.

- Tu sais, le courage est présent en chacun de nous, il suffit juste de laisser le temps faire son œuvre. Rien ne presse. Sache qu’en cas de besoin, tu peux également te tourner vers moi, vous n’êtes plus seul.e.s ici. Personne ne cherchera à vous faire de mal ici.

Déjà fortement intimidée face à la jeune femme et se dissimulant volontiers derrière l’être aux cheveux roux, l’adolescente aux mèches de neige sent ses joues s’enflammer de nouveau. Ses joues virent au rouge tomate et une fumée invisible pourrait presque sortir de ses oreilles tant son visage bronzé chauffe sous l’assaut de compliments indirects. Un tendre sourire sur les lèvres, la créature céleste androgyne laisse ses doigts danser avec grâce.

- Tenshi n’a waison, Sisi…Tu peux n’avoir nonfianche n’en elle, tu chais ze ne donne zamais mes colliers pour wien…Tu es n’infiniment plus couwazeuse nos bouwweaux lâches…Si zamais ze ne chuis pas là, tu n’auwas touzouws nelnun pou t’ailer nomme Tenshi… (Tenshi a raison, Sisi…Tu peux avoir confiance en elle, tu sais que je ne donne jamais mes colliers pour rien…Tu es infiniment plus courageuse que nos bourreaux lâches…Si jamais je ne suis pas là, tu auras toujours quelqu’un pour t’aider comme Tenshi…)

Don d’offrir, joie de recevoir, rien ne pourrait mieux personnifier cette formule qu’à cet instant bien que la gaieté peut aussi se trouver du côté de la personne généreuse. Une rose d’argent ayant éclose sur sa cape, l’archère l’arrache avec délicatesse avant de la tendre en direction de son interlocutrice en proie à ses phobies sociales. Un doux sourire sur les lèvres comme pour la rassurer, elle attend patiemment que la jeune fille tourne son regard clos vers l’ange au regard violet hochant la tête en réponse silencieuse avant d’avancer timidement sa main droite. La gauche accrochée au vêtement noir de l’être au genre indéterminé dans un geste rassurant, la seconde semble se rétracter et reculer avant de reprendre sa marche pour finalement échouer à quelques centimètres du bijou. Ce petit manège dure quelques secondes avant que ses doigts n’osent se refermer sur le minuscule objet sous son visage rougissant à l’extrême. Se balançant lentement d’avant en arrière comme une berceuse vivante, le calme revient prendre le pas sur sa respiration terrifiée.

Chaque mot signé de la part de l’ange aux yeux d’améthyste semble être choisi avec mille soins et précautions et avant chaque sortie, tous baignent dans sa générosité naturelle et l’essence de son sourire à la tendresse inégalée. Son amour sorore pour sa cousine, semblable à celui d’une sœur naturelle, résonne dans chacun de ses gestes et propos alors qu’elle est abreuvée de louanges. Étendant sa douceur à la jeune femme aux mèches bicolores, la réaction émue de cette dernière n’échappe pas à son cœur empathique. Tournant la tête comme pour échapper à la puissance de son regard de pierre précieuse, sa gêne en est presque palpable et le visage heureux de son duo d’archerie manquerait presque de l’achever tant l’être céleste dégage une innocence parfaite. Sa candeur l’empêchant d’émettre le moindre commentaire sur ses émotions, seul son doux rictus parle silencieusement à sa place comme pour lui offrir une zone de réconfort.

La légère pression sur sa manche noire lui fait détourner la tête, délivrant ainsi l’adolescente de son emprise hypnotique bien involontaire. Annonçant timidement son intention d’essayer de vaincre ses peurs en duel, la cousine aux cheveux immaculés  récolte un sublime sourire et un tendre baiser sur le front en guise d’encouragements silencieux. Comblée de son affection, un feu chaleureux s’ouvrant en son cœur, la jeune fille vient faire face à son destin.

Les puissants rayons du soleil courent sur son visage mat avant d’être littéralement renvoyés à l’envoyer tel un reflet maudit. Sa cornée dévore les violents assaillants avant même d’être effleurés et même l’astre solaire ne peut que reconnaître sa cuisante défaite. La lumière du jour est comme repoussée alors que le paysage aux alentours semble être aspiré à l’intérieur dans un reflet parfait.

Tous les diamants bruts du monde ne suffiront jamais à égaler les deux iris cristallins de la jeune femme aux cheveux enneigés. Plus transparents que la plus pure des pierres précieuses, aucune couleur ne peut les traverser Il est dit que les yeux sont les miroirs de l’âme mais quel pouvoir contiennent ceux de l’adolescente tant leur force d’attraction est des plus virulentes. Les objets et personnes dans son champ de vision sont parfaitement reflétés dans ses pupilles à la manière d’un miroir pouvant pousser quiconque au bord de la folie. Se noyer dans son regard de cristal est d’une facilité déconcertante, une fois vos yeux happés, impossible de vous échapper alors que l’innocence parfaite de l’enfant vous met face à vos propres contradictions dans une auto-inspection des plus désagréables. Vous renvoyant votre image aussi bien que vos tords, les moindres pensées de mensonge s’effacent instantanément face à ces gemmes naturelles.

Incapable d’offrir la moindre résistance, l’archère aux mèches bicolores plonge en ces iris pour s’y noyer avec délices. La voix et la respiration coupée durant quelques secondes, seule la voix artificielle de la langue des signes réussit à l’extirper de sa transe hypnotique. Rougissante sous les compliments non voilés de l’ange androgyne, l’adolescente relâche son attention vis-à-vis de son interlocutrice lui permettant ainsi une évasion involontaire. Récupérant une inspiration et une expiration plus normales, sa voix laisse échapper un murmure entrecoupé d’une admiration irréelle comme ne voulant y croire sans risquer l’aliénation.

- Tes yeux… Ils sont magnifiques...

Inapte à rajouter quelques mots de plus, elle est semblable à une personne noyée inconsciente reprenant contact avec la réalité. D’ordinaire d’une douceur absolue, ses cordes vocales sonneraient presque rauque tant les émotions la submergent. Si l’ange immaculée est l’incarnation du diamant, l’être au genre indéterminé est la personnification de l’améthyste dans leur pureté parfaite. Noyant quiconque croise leur regard, leur duo serait des plus redoutables si une once de machiavélisme osait exister en leurs âmes candides.

- Sisi, tu es quelqu’un d’extrêmement courageux, tu peux en être certaine. Ne doute jamais de ceci.

Sa bienveillance éclate à travers tous les pores de sa peau de pêche dans un désir d’honnêteté des plus palpables. Rougissante jusqu’aux oreilles, l’adolescente semble laisser ses doigts se figer et sans réactions, baissant les yeux par réflexe devant la jeune femme. La générosité du cœur de cette dernière atteint celui de l’ange androgyne lui renvoyant un doux sourire en signe de reconnaissance. Le tourbillon de sentiments virevoltant en son esprit vient frapper celui de la créature céleste en une double puissance effroyable. Capable d’une empathie extrême, seule la présence de sa cousine tant aimée semble l’empêcher de basculer dans une folie qui aurait capturé quiconque serait dans son cas. L’amour sorore plus fort que tous les dangers du monde résonne admirablement en son être candide.

Une vague de fatigue traverse soudainement son cœur comme pour le plomber d’un poids insupportable. Une sensation oppressante de ne pas écouter son corps envahit l’esprit de l’être androgyne alors que ses paupières papillonnent en réflexe automatique. Ses pensées virent et dérivent dangereusement dans un gouffre aux rêveries indescriptibles. Durant quelques secondes, son absence de réactivité manque de l’effrayer avant que sa mémoire ne lâche l’information capitale sombrant parfois dans l’oubli. Posant ses tendres yeux couleur mare d’eau violacée sur l’adolescente archère, ses doigts signent lentement quelques mots alors que son visage halé s’étreigne d’un doux sourire.

- Ze vous wemerchie n’infiniment, Tenshi, pou vote bienveillanche ni vote gentilleche…Vous z’êtes n’une femme n’admiwable dont l’amilié m’est déza pwéchieuche…Néanmoins, n’il n’est bientôt dix zeuwes, ze dois n’aller n’en clache, Sisi va suive couws n’en viléononféwenche et je crois neviner vous z’êtes fatiguée, Tenshi…N’en tant notune, vous devez vous wepose et nous n’avons n’abusé vote temps, nous nous n’en exchuzons…Nous gadons pwéchieuchement vos wozes…Nous vous chouhaitons n’un bon wepos et n’au plaisiw de nous wevoi… (Je vous remercie infiniment, Tenshi, pour votre bienveillance et votre gentillesse…Vous êtes une femme admirable dont l’amitié m’est déjà précieuse…Néanmoins, il est bientôt dix heures, je dois aller en classe, Sisi va suivre les cours en vidéoconférence et je crois deviner que vous êtes fatiguée, Tenshi…En tant que nocturne, vous devez vous reposer et nous avons abusé de votre temps, nous nous en excusons…Nous gardons précieusement vos roses…Nous vous souhaitons un bon repos et au plaisir de vous revoir…)

Se levant lentement, le corps à l’apparence vestimentaire trompeuse incline le torse en direction de la jeune femme pour la saluer avec mille respects. Sa petite main craintive attrapant la sienne, l’ange immaculée l’imite silencieusement. Ses doigts dessinent un « Au wevoi Malame Tenshi…Méchi beaucoup… » timide alors que son visage rosit instinctivement.  D’une politesse exquise, les deux créatures célestes préfèrent laisser leur interlocutrice profiter d’un sommeil réparateur que de s’imposer en sa journée indésirable pour son regard nocturne.  Le soleil frappe fort à l’horizon alors que leurs silhouettes disparaissent en des derniers signes d’adieux temporaires. Leurs pendentifs respectifs autour de leurs trois cous, nul doute que leur chemin se croisera de nouveau. Une promesse indéfectible les liant ensemble gravée en leur cœur, la séparation ne peut les attrister longtemps car toute leur âme s’embrase à l’idée heureuse d’une deuxième rencontre.