Comment dire...? C'était une journée passablement mauvaise pour Amanda. Bon, certes, toutes les journées de cours étaient des mauvaises journées aux yeux de l'ex-voleuse professionnelle, mais celle-ci l'était tout particulièrement. Pourquoi cela ? Et bien, disons que se réveiller avec un message de la banque vous annonçant que vous êtes à découvert n'était pas la meilleure façon de commencer la journée, surtout lorsqu'on aimait l'argent comme la professeur de sciences. Amanda s'était donc levée du pied gauche et avait tenté de masquer cette mauvaise humeur apparente par un maquillage impeccable et la tenue typique de la professeur sexy omniprésente dans les bandes dessinées de ce pays.
L'arrivée en classe ne fut pas des plus agréables car ces macaques en uniformes avaient décidé d'être encore plus bruyants et insupportables que d'habitude. Elle avait pris sur elle et tenté de leur intimer le silence avec calme et professionnalisme, mais voyant que sa tentative était un lamentable échec elle passa au plan B : le crissement d'ongles magnifiquement manucurés sur le tableau. Ce fut cette cette fois une victoire totale, et les pauvres élèves eurent à peine le temps de se plaquer les mains sur les oreilles qu'Amanda explosa :

- Bon écoutez bien bande de sales morveux, puisque vous êtes si en forme que ça vous allez me sortir une feuille : évaluation surprise !!

Devant les plaintes qui ne tardèrent pas à fuser, la femme fatale esquissa un sourire létal et plaça les lunettes de son indésirable accolyte sur son nez afin de leur pondre le sujet de leur vie. Mécanique des fluides ? Mmh, oui, oui, pas mal... Physique des particules, encore mieux, oui, parfait...
Il ne fallut que cinq minutes à l'enseignante pour rédiger les questions du contrôle et les écrire au tableau, abattant le couperet sur les têtes de ses pauvres victimes élèves.

- Euh, Mademoiselle, on a pas encore vu ça... tenta un garçon avec hésitation.

- Regarde mon expression. Est-ce que j'ai l'air d'en avoir quelque chose à foutre ? rétorqua-t-elle avec l'air de n'en avoir effectivement rien à foutre.

- Euh... non...?

- Bien, à défaut d'être bon en sciences, tu as au moins une bonne vue. Maintenant silence et au travail, conclut-elle avec un regard de tueuse avant de s'asseoir derrière son bureau et de commencer à feuilleter un magazine de mode.

La classe suivante ne fut pas plus calme et donc pas plus chanceuse que la précédente au point qu'Amanda décida de ne plus se soucier des heures de corrections de copies qui allaient suivre et de coller une interrogation à toutes ses classes. Des élèves se plaignirent qu'ils sortaient tout juste d'un contrôle avec Tomoe, ce qui ne fit que donner encore plus envie à la professeur de sciences de leur faire subir ce même traitement. Merde, quitte à passer une horrible journée, autant qu'elle ne soit pas seule dans ce cas ! Comme le disait une de ses connaissances passées : "les ennuis c'est comme la chtouille, quand on en a, autant en faire profiter les autres" !
Et les deux heures de cours défilèrent, longues et insupportables, au point que même les magazines de mode et les potins de la jet-set ne suffisaient plus à la requinquer. Même les expressions torturées de ses élèves ne lui donnaient plus aucun plaisir. Surtout qu'il n'y avait pas un seul jeune homme potable dans le lot, probablement parce que c'était des collégiens mais tout de même. Elle allait songer à se faire porter pâle pour l'après-midi afin d'aller faire un peu de shopping et de "chasse à l'homme" quand la porte de sa classe s'ouvrit à la volée, la faisant sursauter. Elle s'apprêtait à s'énerver mais se ravisa immédiatement quand elle vit qui se tenait dans l'encadrement de la porte.

- Tomoe ! J'arrive de suite ! fit-elle avec un sourire rayonnant en se levant d'un coup avant de se tourner vers ses élèves. Je m'absente quelques minutes, si j'entends UN bruit je vous jure qu'un zéro à votre contrôle surprise sera le cadet de vos soucis !

Et sur cette terrifiante menace, l'ex-voleuse professionnelle rejoignit sa collègue en quelques enjambées et ferma la porte derrière elle.

- Seigneur, Tomoe, tu es un ange tombé du ciel ! Tu ne te rends pas compte à quel point tu viens de sauver la vie de ces sales gosses ! Dis-moi que tu as un truc fun à m'annoncer parce que je suis à deux doigts de me foutre en l'air ! Alors alors, dis-moi de quoi il s'agit ! Une soirée au bar ? Une virée au casino ? Une chance de démissionner de ce job infernal ?!

A vrai dire, elle était prête à se satisfaire de n'importe quelle nouvelle tant que cela impliquait de laisser ces gosses dégénérés en plan pour aller s'amuser avec sa collègue et amie préférée.

Amanda leva les yeux au ciel afin de traduire son humeur de la journée et répondit avec un soupir affligé.

- Les deux ! Déjà que cette armée de babouins est usante au quotidien, mais se réveiller avec un message de ta banque pour te rappeler que tu es passée d'une vie de luxe trépidante à une vie chiante comme la mort de prof ruinée, c'est pas la meilleure façon d'entamer une bonne journée, si tu vois ce que je veux dire... Mais j'imagine que tu n'es pas venue t'enquérir de mon humeur du jour ? Allez, crache le morceau ! insista-t-elle en changeant de sujet et en affichant un air des plus intéressés.

Cela faisait maintenant un bon moment que l'ex-voleuse professionnelle connaissait sa chère collègue, et depuis le temps elle avait appris à identifier les mimiques et expressions de son amie (plus ou moins consciemment). Dans le cas présent, la parieuse compulsive avait ce quelque chose qu'Amanda adorait tout particulièrement. Comme une petite lueur d'excitation et de trépignation... Et cela ne pouvait qu'annoncer une seule chose : Tomoe avait un plat particulièrement croustillant et délicieux à mettre sur la table...
La bonne nouvelle ne tarda pas à tomber, et la femme fatale laissa échapper une exclamation de joie.

- Vraiment ? Nooon, tu te moques de moi pas vrai ?! On a vraiment gagné ?! Oh mon dieu Tomoe, je t'adore, tu es la meilleure !! C'est ex-ac-te-ment ce dont j'avais besoin, une vraie après-midi spa entre filles !! Oh la la, ça va être absolument parfait !! s'enthousiasma Amanda comme une gamine ouvrant ses cadeaux de Noël.

D'aucun pourrait dire qu'Amanda était superficielle ou même lunatique, mais comprenez-là : ce genre d'activités digne de la haute société lui manquait cruellement et après la désastreuse matinée qu'elle venait d'affronter la perspective d'un bon massage traditionnel japonais ainsi que de plusieurs heures de délassement dans un onsen avec sa meilleure (et seule ?) amie était un cadeau du ciel. C'est pourquoi elle esquissa un sourire plein de confiance en mettant ses mains sur ses hanches pour répondre à Tomoe :

- Je sais que j'ai pour coutume de dire que la beauté est un art qui prend du temps, mais pour toi... et une après-midi au spa, ma chérie, je pourrais être prête en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire ! Je cours au pensionnat chercher mes affaires, on se donne rendez-vous dans une heure à la station de l'Académie ?

Amanda confirma l'heure et le lieu du rendez-vous avec son amie et, après un enthousiaste "à toute à l'heure !", elle recomposa sur son visage un masque un peu plus sérieux (bien que la joie qui y transparaissait trahissait ses intentions) et retourna dans sa salle de cours en enfonçant presque la porte d'un coup de pied qui fit sursauter tous ses élèves.

- Bien, bande de sales gosses ! Dîtes aux autres que j'ai en cours cette après-midi que je suis affreusement malade et que je serai absente jusqu'à la fin de la journée !

C'était de toute évidence le plus gros mensonge de la semaine car la professeur de sciences rayonnait d'une euphorie qui était presque de mauvaise augure, mais la joie des élèves de ne pas avoir à croiser la femme fatale dans les couloirs l'après-midi-même (et de peut-être avoir une meilleure note que 0 au vu de sa soudaine bonne humeur) était suffisante pour couper court à leur curiosité. Amanda rangea ses affaires et se remaquilla en fredonnant alors que la sonnerie de fin des cours de la matinée résonna dans le bâtiment.
Elle attendit, bras croisés et sourcils froncés en tapant du pied avec impatience, que les élèves déposent tour à tour leurs copies sur son bureau qu'elle ramassa et fourra dans son sac sans ménagement avant de quitter la salle presque au pas de course. Elle sauta dans le train et fonça vers le pensionnat où elle modifia sa tenue pour un ensemble moins "prof" et plus estival et prit quelques affaires dans l'un de ses plus beaux sac avant de repartir retrouver Tomoe sur le lieu de rendez-vous. Oh la la, cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas été aussi excitée par quelque chose qui était plutôt banal dans son ancienne vie. Comme quoi, on n'appréciait la réelle valeur des choses qu'une fois qu'on les avait perdues ! En tous cas, elle comptait bien profiter à fond de chaque minute passée au spa avec Tomoe !

Si Amanda avait été beauf, elle aurait volontiers imité un vomissement sonore à la remaque de son amie sur le fait qu'elle finirait par s'habituer à la vie de pauvre. Mais Amanda étant élégante... oui, bon, pour être honnête elle avait été à deux doigts de le faire quand même, mais elle se contente d'une expression profondément marquée par le dégoût.

- Excellent jeu de mots ma chère ! Comme si être pauvre et avoir une vie était compatible fufufu ! gloussa la professeur de sciences sur un ton assez snob.

Mais bon, toutes ces histoires de miséreux et de salaire scandaleusement bas serait vite oubliées avec le fabuleux cadeau de Tomoe ! Car, oui, pouvoir sécher les cours (en tant que professeur, ironiquement) et passer du bon temps avec Tomoe était formidable, mais alors passer du temps dans un hôtel traditionnel japonais doté d'un spa...! Alors là, c'était carrément le niveau au-dessus ! Amanda enviait souvent le talent de sa collègue pour les jeux de hasard. Étant une grande fan de casinos et d'argent, avoir un don comme celui-là la comblerait jusqu'à la fin de ses jours ! Adieu le salaire de misère et les chiards et bonjour les vacances sur un yacht de luxe dans la Méditerranée ! Oui, ça c'était un excellent plan de retraite, fufufu ! Mais pour l'heure, elle saurait tout à fait se contenter d'une longue et délicieuse séance de massage, ou même tout simplement d'un bon bain dans un onsen qui ne serait pas plein de sales mioches en train de semer un bordel monstre comme c'était toujours le cas au pensionnat. Oui, vraiment, ce serait le paradis !
Amanda esquissa un sourire à la fois malicieux et amusé aux taquineries de Tomoe et répondit avec son ton suave habituel :

- Sache que je ne suis jamais en retard, sauf si c'est dans mes intentions. Il n'y a que les hommes que j'aime faire languir, ma chère, et aussi ces morveux quand je fais monter le suspense avant de leur annoncer leurs notes désastreuses fufufu ! Et tu as parfaitement raison, mais la beauté est un art, et l'art est une chose qui mérite qu'on lui accorde du temps pour le sublimer, n'es-tu pas d'accord ? ajouta-t-elle avec un clin d'oeil.

Et en parlant de clin d'oeil, le retour au pensionnat et les préparatifs de l'ex-voleuse professionnelle passèrent ainsi. Elle arriva à la gare avec un grand chapeau à larges bords très élégants, des lunettes de soleil chic et une tenue estivale légère et parfaitement séduisante. Quitte à s'adonner des activités un peu luxueuses, autant être habillée pour l'occasion ! Et Amanda adorait exhiber son indéniable sens du style à la vue de tous ces paysans. Elle arriva donc à la hauteur de Tomoe avec un grand sourire et lui lança :

- Je suis fin prête, nous pouvons y aller ma chère !

Le trajet en train passerait sans doute très vite pour la professeur de sciences tant elle était excitée ! Décidément, cette après-midi s'annonçait paradisiaque, et elle comptait bien en savourer chaque seconde en compagnie de son amie !

Amanda fit mine de s'offusquer à la taquinerie de son amie, ajoutant des gestes dramatiques à sa réaction.

- Dépouiller quelqu'un ? Voyons Tomoe, pour qui tu me prends ? Je ne suis pas une vulgaire pickpocket, je suis une vraie professionnelle. Et j'ai des standards ! De toute façon, à part des miettes et de la poussière, je ne vois pas bien ce que je pourrais trouver dans les poches de ces bouseux... fit-elle sur un ton snob avant de balayer cette idée grotesque d'un mouvement de la main.

Et puis, aujourd'hui, la femme fatale allait pouvoir oublier pendant toute une après-midi ces culs-terreux en s'adonnant avec Tomoe à des passe-temps dignes de son statut social. Et elle avait hâte de découvrir les massages traditionnels japonais, surtout dans un décor exotique comme celui d'un vieux ryôkan. Pour une fois, elle se sentirait comme une riche touriste américaine et non comme une fugitive ayant trouvé refuge dans une école de tarés !
D'ailleurs, Amanda profita d'un instant de répit pendant lequel son amie regardait l'adresse sur son téléphone pour abaisser ses lunettes de soleil sur son nez et admirer les alentours. Elle n'avait pas vraiment pris le temps de faire du tourisme dans les vieux quartiers de Shisaido depuis qu'elle était arrivée à l'Académie quelques années plus tôt, mais il était vrai que les vieux bâtiments, les cerisiers en fleurs et la douce brise du mois de juin étaient fort agréables. Enfin, ce qui rendait le coin agréable était surtout la perspective d'une après-midi entre filles. La voleuse emboîta le pas à sa collègue en bavardant avec entrain jusqu'à ce qu'elles arrivent à leur destination. Amanda retira ses lunettes et balaya le hall de son regard envoûtant, appréciant le chic sobre de l'hôtel. Clairement pas assez luxueux à son goût, mais le côté traditionnel typique avait un charme certain. Du moins, pour servir de décor à leurs activités du jour.
Les deux femmes furent guidées jusqu'aux vestiaires et la femme fatale se saisit d'un yukata très élégant, des étincelles dans les yeux.

- Oooh, que oui ! répondit-elle à Tomoe avec une excitation à peine contenue. Enfin, je me sens de nouveau dans mon élément ! Du moins, un petit peu. Mais tu as vu ces kimonos ? Très élégants, avec ça je rendrai jalouse cette idiote de Victoria qui n'arrête pas de se la raconter avec ses nuisettes de créateurs fufufu !

Ou pas. C'était beau de rêver, certes, mais il était vrai que la vie ostentatoire de la jet-set manquait beaucoup à Amanda... et elle essayait très fort d'oublier toutes les magnifiques tenues et accessoires de luxe qu'elle avait dû abandonner lorsqu'elle avait fui les Etats-Unis et la CIA. Cette pensée la fit enrager intérieurement et fit se crisper ses doigts sur son kimono qu'elle aurait pu déchirer si elle n'avait pas repris de sa contenance. En tous cas, Tomoe avait raison : elles étaient là pour profiter d'une petite après-midi entre filles, et de toute façon tout était mieux que de devoir se coltiner ces mioches avec ce travail misérable. Elles étaient venues prendre du bon temps et se détendre, et la voleuse déchue comptait bien savourer chaque seconde en compagnie de son amie !

- A nous les massages traditionnels et les sources d'eau chaudes revitalisantes ! lança Amanda à Tomoe avec un sourire enthousiaste après avoir enfilé son yukata.

Une employée du ryôkan vint les chercher et les guida toutes les deux à une salle ouverte sur les onsens façon terrasse, dans laquelle se trouvaient deux tables de massages disposées côte à côte. La femme fatale échangea un regard entendu avec sa collègue, pressée de profiter d'une bonne séance de relaxation. Cet après-midi s'annonçait décidément très agréable !