L’aide soignante faisait doucement avancer une Jessica âgée de 23 ans, coincée dans un fauteuil roulant depuis quelques jours. Non vraiment, elle n’arrivait pas à accepter le fait que ses jambes étaient paralysées et que ses bras ne possédaient plus la même mobilité qu’il y avait quelques temps. Elle soupira doucement, demandant poliment d’aller vers le piano pour leur montrer. Montrer à tout le monde qu’elle n’était pas incapable de jouer ! Elle voulait leur montrer à tous qu’elle était capable de faire quelque chose de sa vie ! Que ses bras étaient encore capable de jouer au détriment de ses jambes ! Même si elle devait faire une croix sur la vitesse, elle ne pouvait abandonner les jeux de cartes et la musique ! C’était tout ce qui faisait ce qu’elle est et ce qu’elle sera toujours.
 
D’abord réticente, l’aide soignante fini par craquer lorsqu’elle comprit que Jess se traînerait certainement pour parvenir au grand instrument.
 
Une fois devant ce dernier, elle recula un peu, s’asseyant sur une chaise que lui avait indiquée la musicienne. Ce n’était pas un ordre, mais elle n’aimait pas qu’une personne reste debout chez elle. Avec une certaine impatience, elle releva le couvercle du piano, regardant les touches blanches avant d’appuyer dessus, s’assurant qu’il n’était pas abîmé… Enfin, il n’y avait pas de raison qu’il le soit mais « on ne sait jamais ». Sa main droite réussissait assez bien à jouer même si c’était extrêmement maladroit mais son bras gauche était inutilisable. N’obéissant pas aux ordres de la jeune femme qui fronça les sourcils. Jess grogna légèrement avant de refermer le clavier au bout d’une demi heure d’essais tous plus inutiles les uns que les autres. Ce n’était pas possible. Non ! Les médecins n’avaient pas pu dire la vérité ! Ils s’étaient réellement trompés quelque part !
 
Non…
 
Si cela se trouvait, il lui faudrait juste quelques jours pour retrouver l’usage total de ses bras ! Idem pour ses jambes !
 
Alors qu’elle commençait à s’énerver sur la chaise roulant, l’aide soignante la fit rapidement reculer, la mettant face à une table avant d’aller chercher un grand verre d’eau frais. Ce n’était pas la première fois qu’elle avait affaire à un tel déni mais c’était malheureusement le cas. Beaucoup de patients ont ce genre de réaction et on ne peut malheureusement rien y faire. La vérité doit juste être acceptée. Il est impossible de revenir en arrière, les choses sont faites et, pour le coup, ne peuvent pas être réparées. Jessica Mevis faisait partie des cas pour lesquels ils seraient compliqué d’ouvrir les yeux, il n’y avait pas de doute. Si cela se trouvait, elle n’accepterait jamais cette horrible réalité.

Jessica resta là, immobile, les mains crispées sur les accoudoirs de la chaise roulante, le regard perdu dans le vide. Il fallait qu’elle se fasse à cette nouvelle vie ? Ce n’était pas une blague ? Elle devrait rester complètement dépendante des autres jusqu’à la fin de ses jours ? C’était un coup dur pour un esprit libre, qui avait toujours revendiqué sa liberté, les règles qu’elle brisait sans cesse.
 
D’ailleurs, était-ce à cause de ceci qu’elle se retrouvait dans un tel état ? C’était assez possible mais elle ne voulait pas accepter ceci. Non, vraiment, c’était juste un accident, à cause d’un animal qui avait traversé la route en mode surprise ! Oui, c’était la faute de cette bestiole, pas de sa vitesse, pas de la moto… Juste l’animal et…
 
Jess chassa ces pensées de son esprit très rapidement avant de prendre le verre d’eau, non sans quelques difficultés.
 
-          Merci…
 
Ce mot avait été soufflé, très faiblement mais elle n’avait pas le cœur à parler, même à l’agréable personne qui lui faisait face. Sans forcer, il était possible de voir que la jeune aide-soignante n’aimait pas voir les gens dans le même état que Jess. En même temps, qui aime voir les gens souffrir ? Perdre tout ce qu’ils ont toujours possédé ? Ce qui fait ce qu’ils sont ?
 
Les deux femmes prirent une boisson dans un silence pesant avant que Jess ne prenne finalement la parole, ne levant pas les yeux de la tasse qui était posée devant elle.
 
-          Si vous voulez, nous pouvons jouer un peu. Je dois avoir un jeu de carte qui traîne dans le meuble…
-          Vous voulez que j’aille le chercher ?
-          Vous me laisseriez y aller ?
-          Pas vraiment.
-          Alors vous pouvez…
 
Après avoir indiqué le meuble, l’aide soignante se dirigea vers ce dernier, farfouillant rapidement dans le tiroir avant d’en tirer un paquet de carte. Elle ne savait pas encore dans quoi quelle s’engageait vu que quelques heures plus tard, les deux femmes étaient encore en train de jouer au poker, ne faisant plus attention à l’heure qui passait. Ce n’est qu’après une énième partie que Jess leva les yeux à l’horloge.
 
-          Eh merde ! Cela va faire quatre heures que nous jouons ! Il faudrait peut être mangé !
 
Vu l’heure qu’il était, trouver une pizzeria serait compromis mais après quelques minutes de recherche et d’attente, les deux avaient de quoi manger. Plusieurs pizzas et de quoi boire encore. Jess refusait de laisser la jeune femme partir, ce n’était pas prudent même si toutes les rues étaient illuminées. Il ne valait mieux pas prendre de risque… C’est sans doute ce qui la poussa à laisser l’aide soignante dormir dans la chambre d’amis. C’était la moindre des choses que la musicienne pouvait encore faire. Après tout, elle avait oublié l’espace de quelques heures ce qui lui était tombé sur le coin du nez.
 
Mais nous savons tous que ce n’est que de courte durée, ce qui a été chassé reviendra très rapidement à l’attaque.