Je jette un coup d’œil autour de moi à la recherche d’une table de préférence vide. Ce devrait être chose facile pourtant ; je mange tardivement exprès pour éviter la foule ! Mais non, je n’ai pas été la seule à en avoir l’idée. Il y a pleins de petits groupes partout, squattant des tables super grandes pour rien. Je soupire, aigrie par cette conclusion désagréable. Je vais devoir aller là où il y a d’autres gens.

Je reconnais quelques visages familiers. Pas forcément des gens auxquels je parle régulièrement, mais des gens dont je connais le nom. Je fronce le nez dédaigneusement. Ai-je vraiment envie d’aller les voir ? Ils ne m’en tiendront pas rigueur si je les évite. Après tout je suis comme ça ; un ange tout ce qu’il y a de moins sociable et gentil. Toujours de mauvais poil, ou de mauvaise plume devrais-je dire, méprisant les humains. Après tout, je suis pluricentenaire, et grâce à Père je peux voyager dans à peu près toutes les époques du moment où l’on a besoin de moi. Disons que j’ai quelques siècles d’apprentissage de plus que le commun de mortels. Bien que j’ai été mise au rebus, et qu’à part vivre jour après jour une vie normale de lycéenne, je ne fais plus grand-chose. Je m’ennuie à mourir ici. Je ne sais toujours pas ce que j’ai fait pour mériter une telle punition, mais elle est sacrément corsée.

Je me force finalement à avancer, à trouver une place le plus loin possible des gens.

J’enjambe donc une espèce de panthère allongée par terre en train de dormir, qui est certainement affiliée à l’un des pensionnaires. J’esquive un coup d’aile agacé d’un mec en grande discussion avec ses amis.  Je me baisse juste à temps pour éviter une bulle d’eau qui sert de balle de jonglage à quelqu’un d’autre.  Cette salle de réfectoire est tout sauf un endroit calme. C’est pas comme s’il y avait une bataille de bouffe, évidemment, mais ça reste franchement détestable pour quelqu’un comme moi qui veut juste qu’on lui fiche la paix.

En évitant un énième obstacle, mon attention focalisée dessus, quelqu’un me percute sur le coté, reculant brutalement de sa place à une table. Mon plateau vole avant de se répandre par terre dans un vaste fracas. Je m’immobilise, les yeux fixés sur les dégâts. Bordel. Pourquoi j’ai pas prévu que quelque chose comme cela se produirait ? Je serre les poings, serre les dents, respire un grand coup, force un sourire avant de me tourner vers ladite personne, me contrôlant pour ne pas lui mettre mon poing dans la figure.

Un juron, un soupir, il se retourne et je fais bientôt face à Akil. Il a l’air encore plus couillon que moi, désormais dégueulasse à cause de son plateau qu’il s’est renversé dessus. Je ferme les yeux, inspire profondément, visse sur mes lèvres mon sourire forcé et fais de mon mieux pour ne pas crier. Après tout, j’apprécie Akil. Il est pas méchant. Il s’excuse, propose de repayer. Je fais un mouvement de la main comme pour balayer un moucheron désagréable ;

« Non, rappelle-toi que je peux acheter une maison sur un coup de tête. Un repas c’est un détail. »

Le plus agaçant, c’est de devoir se rabaisser à tout nettoyer et de s’offrir en spectacle. Je ne remarque pas le rire moqueur un peu plus loin, concentré sur mon exaspération.

« On nettoie j’imagine. »

Je l’entends grogner dans sa barbe –imagine plutôt drôle puisqu’il n’en a pas- mais ne relève pas. Je me baisse pour commencer à rassembler les affaires dans un seul plateau, empilant le second par en dessous. Je jette un coup d’œil à Akil ;

« Voyons le bon coté des choses, ça pourrait être difficilement pire.. »

Non, ce n’était pas un défi lancé à la face de mon Père. Mais Dieu a un humour terrible et embarrassant. L’autre abruti qui jouait avec son eau en perd le contrôle ou je ne sais quoi.. Et je me prends une bulle flottante en pleine tête, me trempant de la tête aux pieds. Je ne l’ai pas vu venir, et je suis bien incapable de savoir s’il l’a fait exprès ou si c’était involontaire. Je me relève, passablement énervé, mes lames apparaissent, et grinçant entre mes dents ;

« Bon, je bute qui ? »

Je ne vais pas vraiment tuer qui que ce soit. Disons que je vais faire suffisamment peur du haut de mon mètre cinquante pour faire passer l’envie à quiconque de rire. Vous avez déjà vu un ange en colère ?