Enfin cette journée s'achevait !
Il était temps.
Prendre ses marques ici était épuisant. Des humains Sigfried en avait côtoyé auparavant mais enseigner c'était encore une autre paire de manche. D'autant plus qu'il ne fallait pas toucher aux élèves, le directeur avait été clair là dessus.
Sigfried avait prévu de rentrer chez lui rapidement toutefois avant cela il avait besoin de prendre l'air, d'aller sur les hauteurs, le plus près possible de ce ciel qui lui manquait tant. Le meilleur endroit pour ça, il l'avait repéré vite. Le toit de l'Académie était parfait pour contempler le ciel.

L'air était doux, la brise agréable. à cette heure, il y avait peu de chances de croiser du monde et si élèves il y avait, généralement ils partaient rapidement à la vue d'un professeur. Ici était le seul véritable endroit calme. Dès qu'il mit le pied sur le toit, Sigfried su que quelque chose n'était pas comme d'habitude. D'une il y avait quelqu'un, de deux ce n'était pas un élève prêt à s'éclipser sans bruit.
Le fait que cette personne soit perchée sur le mât n'étonnait pas particulièrement le dragon. Après tout, il aurait choisi la même place s'il avait été en mesure de le faire. C'était le point d'observation de choix ici.

L'étrange oiseau qui se promenait sur le toit à la même heure que lui appartenait au corps des professeurs, il l'avait déjà brièvement croisé mais n'avait pas particulièrement eu l'occasion de parler avec lui.
Puisqu'il était là lui aussi, Sigfried s'en accommoderait. Il fallait bien partager l'espace. Et puis, mieux valait entretenir de bonnes relations ici, sait-on jamais, cela pourrait s'avérer utile.

Un sourire aimable se dessina sur le visage du professeur de mathématiques alors qu'il saluait son collègue d'un signe de tête.

"Bonsoir" se contenta-t-il de dire en allant s'installer sur le rebord du grillage, là où il pourrait profiter du ciel et du vide proche.

Sigfried n'avait pas eu l'intention de surprendre ainsi l'oiseau perché sur le mât mais le voir se rattraper avec autant d'adresse était un spectacle très intéressant. C'était surprenant d'ailleurs de la part d'un professeur d'être capable de rivaliser avec un acrobate. Enfin, cet établissement réservait après tout bien des surprises.
Dans tous les cas c'était heureux qu'il ne soit pas abîmé sur le sol. Un professeur tombant du toit ça aurait fait désordre.

"Je vous prie de m'excuser," s'excusa-t-il avec un sourire voyant que son collègue ne semblait pas non plus lui en vouloir. "Je veillerai à faire attention à l'avenir mais j'avoue que je ne m'attendais pas à trouver quelqu'un ici à cette heure."

Du saut à l'élastique ? Sigfried avait heureusement une notion de cette activité grâce à ses recherches sur cet chose magique qu'était internet. Il était évident que ça ne valait pas un bon livre mais c'était pratique tout de même. L'idée de lancer les élèves du haut du mât pour les voir se balancer et rebondir était particulièrement amusante. Sans compter la symphonie de leurs cris de frayeur qu'il imaginait déjà. Son sourire s'élargit.

"Cela leur permettrait peut-être de mémoriser une bonne fois pour toute les lois de la physique" approuva-t-il. "Il paraît qu'il n'y a rien de mieux pour apprendre que l'expérience et la pratique."

Un peu surpris par cette poignée de main tout d'abord, il la rendit avec plaisir. Une poignée de main en disait parfois long sur une personne. Celle ci était enthousiaste et avait quelque chose de chaleureux.

Sigfried se rassit lorsque Sihir alla s'installer dans un coin. C'était le professeur d'art si sa mémoire était bonne. Sigfried aimait bien l'art ce qui lui rendait la personne de son collègue relativement sympathique. Son regard se porta sur le mât qui le ramena à l'idée de cet étrange oiseau qui s'était perché sur le mât.

"J'ai lu un jour que certaines tribus africaines pendaient leurs jeunes par les pieds et les faisaient tourner en haut d'un mât la tête en bas... je me demande à quoi cela ressemble en vrai. Dommage, l'Afrique est loin. Enfin l'avantage du saut à l'élastique c'est qu'on peut facilement faire disparaître les preuves, vous ne pensez pas ?"

La conversation prenait un tour des plus étonnant. Torturer des élèves ? Quelle idée se diraient certains. Cependant, il fallait avouer qu'imaginer les pauvres élèves condamnés au saut à l'élastique était particulièrement amusant.

Sigfried sourit la mine amusée en voyant son collègue s'esclaffer de la sorte. L'idée semblait le ravir. Toutefois, il avait raison, ce genre d'activités étaient difficilement dissimulables... Voilà qu'on parlait de torture mentale et le professeur d'art avait entièrement raison, rien ne valait la torture psychologique. Le dragon acquiesça à cette remarque au sujet de privilégier le mental qu'il approuvait totalement.

"Comment mettre l'endroit à profit ?" reprit-il, un peu surpris qu'on le sollicite pour une telle chose.

Il balaya le toit du regard, observant le mât, le grillage, le bout de bâtiment qui permettait l'accès au toit. Pour chasser c'était plutôt pas mal comme endroit... En coinçant les proies ici, il suffisait ensuite de les cueillir depuis le ciel. Une nuit sans lune ou un soir de tempête pour disparaître dans le ciel et les nuages et fondre en silence, invisibles sur les malheureux. Il suffisait de couper toute retraite à ceux pouvant voler...
Le dragon chassa ces pensées de son esprit. Ce n'était pas vraiment ce qu'on lui demandait. Son regard s'arrêta sur le mât et il repensa à la chute de son collègue.

"Il y aurait moyen de bien punir ceux qui dormiraient en classe tout de même... Devoir prendre des notes en haut du mât les rendrait peut-être plus attentif qui sait...?"

Il fallait avouer que les élèves capable de voler étaient un réel handicap pour réaliser ce genre de projet. Enfin, des ailes, ça pouvait s'entraver même si c'était une idée qui répugnait profondément au professeur de mathématiques.

"En y réfléchissant, l'avantage de ce lieu c'est qu'il est en plein air et qu'il y a beaucoup plus d'espace que dans une sale de classe, vous pourriez vous y permettre des tours plus spectaculaires non ? De quoi leur faire un peu peur par exemple."

Sigfried se leva et se mit à déambuler le long du grillage, ses doigts jouant dans les croisillons tandis qu'il observait le décor en contrebas. Il pouvait voir les élèves qui traînaient encore dans le parc, l'idée qui lui vint alors lui tira un sourire.

" à défaut d'être exploité pour réaliser un méfait, il pourrait être utilisé pour préparer les méfaits. C'est isolé, rien qu'en observant l'on peut avoir une foule d'informations sur les habitudes des élèves et ainsi adapter...une sorte de torture psychologique personnalisée, si vous voyez."

L'idée qui lui vint alors lui tira un petit rire. Décidément son interlocuteur déteignait sur lui.

"Vous savez ce qu'il faudrait faire ? Répertorier l'usage possible de tous les lieux de cet Académie pour bien évidemment mieux tourmenter les élèves."

Sigfried resta un instant à observer le ciel. La brise vint jouer dans sa chemise et ses cheveux lui rappelant la sensation du vent en vol, ses couleurs allant du bleu au rouge selon la température de l'air. Avec ses yeux actuels le vent était invisible, quelle tristesse. Le bruit mat des cartes que l'on bat avait quelque chose de relaxant.

Son collègue semblait véritablement décidé à jouer des tours aux élèves. Après tout pourquoi pas ? Cela pourrait être divertissant à observer.

"Endormi ou évanoui" compléta-t-il suite à la suggestion du mauvais rêve. " Toujours est-il que cela ne peut être appliqué qu'à un petit nombre, une classe entière ayant fait le même rêve c'est plus difficile à avaler."

Coincer un club dans sa salle par la faute d'un membre du club, voilà qui serait le théâtre d'un huit clos amusant. Dans ce genre de situations les caractères des uns et des autres se révélaient et on pouvait toujours en apprendre énormément sur les personnes.

"Hum... ça pourrait causer une belle pagaille je pense... Toutefois, il faudrait veiller à ce que cela ne dégénère pas..."

L'idée des élèves enfermés continuait de trotter dans sa tête. Il les imaginait chercher un moyen de sortir, se chipoter voir aller jusqu'à la dispute, chercher la cause, enquêter. Tout cela lui tira un sourire.

" On pourrait pousser cette idée de club coincé plus loin encore et organiser un petit "jeu" avec de quoi les faire tourner en bourrique un peu. En les aiguillant un peu à votre façon et en les confrontant à des énigmes et autres problèmes ce pourrait être particulièrement amusant vous ne pensez pas ? Et puis en se débrouillant bien, il est facile de jouer la carte de la pédagogie. Il suffit qu'il y ait un lien entre le jeu et les cours et on peut faire passer ça comme "une mise en situation à visée d'apprentissage". Pas de preuves à cacher aux institutions, seulement aux élèves et pas de soucis avec les caméras. Et puis, personne ne pourrait nous reprocher de favoriser le travail d'équipe au sein de nos groupes d'étudiants, qu'en pensez vous ?"

Il trouvait cette idée terriblement tentante et commençait déjà à réfléchir à comment la mettre en place. Ce pourrait être un excellent jeu entre les élèves et leurs professeurs, de plus certains apprendraient peut-être mieux leurs cours de cette façon. Oui, il faudrait essayer et faire de l'académie leur terrain de jeu.

La brise se fit bourrasque, rose orangée, juste tiède mais pas encore totalement chaude. Pas de quoi en faire un courant ascendant mais cela viendrait.

La dernière suggestion du dragon à son collègue semblait plaire. Le sourire du professeur d'art aurait sûrement pu être jugé effrayant par bien des personnes mais cela ne faisait pas partie des choses qui impressionnaient Sigfried. Son collègue appréciant l'idée, lui songeait déjà à comment la mettre en place, ce qu'il pourrait utiliser et quel profit il pourrait en tirer pour lui ou pour ses élèves, au delà de son propre amusement.

Voilà qu'on lui posait la question sur sa singularité. Sigfried détestait ce terme et ce retint de tiquer à son évocation, après tout il fallait bien mettre des mots sur les choses que l'on rencontrait, c'était la base de la science. Aussi ne montra-t-il rien et ne changea-t-il rien à son attitude. La question serait venue un jour où l'autre de toute manière mais c'était remuer le couteau dans la plaie que d'y penser. Ce genre de remarques ne faisaient que lui rappeler qu'il était ici sur un toit, cloué au sol, incapable de reprendre son envol. C'était terriblement frustrant.

" J'aime particulièrement les énigmes et les jeux de stratégie, cela pourrait sûrement nous être utile pour préparer, non ?" répondit-il du même ton que d'habitude, esquivant cependant la question de la singularité.

Il n'avait rien contre le tutoiement mais l'histoire des âges proches lui tira un sourire comme si c'était une bonne plaisanterie qu'on venait de lui faire.

"Bien d'accord, tutoyons-nous", dit-il avec bonne humeur.

Sigfried réfléchit un instant à cette histoire de justificatif de la salle à utiliser. Faire participer les élèves à l'élaboration et leur réserver quelques surprises pour le final était une bonne idée, de plus il pourrait les faire travailler en groupe sur ce projet et mobiliser les compétences de chacun. Ce serait intéressant.

" Si nos matières séparées ne sont pas suffisantes pour justifier un tel projet, autant les faire se rejoindre, quitte à inviter d'autres collègues dans la préparation."

Bien évidemment, les collègues en question ne seraient pas au courant de tout sauf s'ils estimaient qu'ils étaient dignes de confiance mais moins de gens savaient, mieux c'était.

" Je peux effectivement les faire travailler sur les plans et la mise en place des systèmes, s'ils sont inventifs je pourrais même leur faire élaborer quelques petits pièges. Si avec toi ils s'occupent de construire et mettre en place on peut faire quelque chose qui tienne la route. On peut diviser le travail entre les différentes classes afin que tout le monde n'aie pas les même informations. Ce serait un gros projet certes mais on a suffisamment de talents différents à exploiter ici."

Sigfried porta de nouveau le regard sur le parc en contrebas.

" Peut-être pourrions-nous aussi envisager une sorte de jeu de piste, monter un scénario, les faire enquêter... en voyant grand nous pouvons les faire courir dans toute l'Académie. En utilisant toutes les matières enseignées ici on pourrait créer des indices plus ou moins faux, à eux de démêler le vrai du faux ensuite. La plupart des clubs pourraient y participer sans trop le savoir. Il suffit de pousser les bonnes personnes au bon moment, non ?"

Le collègue d'art semblait avoir le goût du spectacle, en travaillant ensembles ils pourraient peut-être réaliser quelque chose de spectaculaire qui les amuserait sûrement bien tous les deux mais trouverait un intérêt ailleurs pour les élèves.

Cette conversation virait à l'association de malfaiteurs mais c'était amusant. Il pourrait peut-être en ressortir des choses plutôt intéressantes.

"Cela semble bien parti pour, " rit-il à la réflexion sur leur équipe improvisée en haut d'un toit par une fin d'après midi.

Sigfried approuva la remarque sur le fait qu'un éventuel complice, pour se joindre à leur duo, devrait être digne de confiance.

" Je ne connais pas encore bien tous nos collègues, "s'excusa-t-il. " Peut-être à l'occasion, lorsque nous aurons fait plus amples connaissance avec eux, nous pourrons aviser. Et puis qui sait peut-être que de nouveaux collègues arriveront et auront le potentiel pour se joindre à notre affaire ? "

Si son collègue était bon menteur et persuasif, ils pourraient obtenir rapidement l'autorisation de monter leur petit projet. Il faudrait commencer à développer la chose et à y réfléchir de façon plus approfondie.

"Montons le projet à deux et faisons le accepter, ce sera déjà une première étape, on avisera ensuite pour le reste. Comme on dit, l'occasion fait le larron."

Transformer l'Académie entière en jeu de piste géante était une merveilleuse idée. Le professeur d'art voyait grand et cela plaisait au dragon.

" Ce serait une excellente idée ! Si la première étape fonctionne bien, nous pourrons tenter quelque chose à plus grande échelle."

Il acquiesça au sujet de la capacité de Sihir à mener les gens par le bout du nez. Il appréciait particulièrement ce genre de compétences.

"Nous en aurons besoin, c'est certain."

Sigfried sorti un calepin de sa poche. D'ordinaire il y notait des remarques, des choses à faire ou à ne pas oublier, pour une fois, les petites pages allaient servir à autre chose. Il fit jouer le stylo entre ses doigts tout en cherchant une page vierge.

" On devrait noter nos idées, ça prendra forme au fur et à mesure qu'on organise."

Il n'avait pas prévu aujourd'hui de trouver quelqu'un ici, encore moins de converser ainsi avec, mais après tout il devait être vrai cet adage, l'occasion fait bien les larrons et l'occurrence il y en avait deux sur ce toit.

Le collègue d'art semblait très réticent à intégrer un nouvel élément dans leurs petites affaires. Sigfried respectait sa volonté et la comprenait aussi. De plus, pour sa part, il n'aimait pas s'embarrasser de personnes superflue. Si quelqu'un avait quelque chose d'intéressant à apporter, il aviserait à ce moment là.


"Une semaine sera largement suffisante", acquiesça-t-il.

Il semblait dubitatif à l'idée de noter. En soi, pourquoi un innocent projet pédagogique ne devrait-il pas avoir une trace écrite ? La plupart des professeurs sérieux rédigeaient ce qu'ils préparaient pour leurs cours. Sigfried n'était pas né de la dernière pluie et si notes il y avait, il était évident que les véritables informations ne seraient pas à portée de tous.

Un sourire étira ses lèvres à l'idée de cacher quelque chose sous les yeux de tout un chacun. Ce serait amusant même si ce ne serait qu'une "private joke" entre eux deux. Il réfléchit un instant puis se mit à écrire quelques mots sur la page vierge avant de les montrer à son collègue. C'était une simple citation, quelques vers pris d'un poème de Rimbaud.

Sigfried reprit le carnet et se remit à écrire, changeant les mots, décalant les lettres de l'alphabet puis ré écrivant à l'endroit ce qui apparaissait désormais à l'envers. Une fois cela fait, il retendit le carnet à Sihir.

à présent on pouvait lire : "Un plaisir de travailler avec toi, cher collègue."