Camille E. Shell

Camille Elizabeth Shell est née un beau jour d'automne pluvieux, balancée sans ménagement dans un quartier craignos de la pourtant respectable ville de Bordeaux, en France. Sa mère était une immigrée anglaise qui ne parlait pas bien français, une prostituée en fin de carrière, l'une de celles qui n'attirent plus grand monde malgré leur coût peu élevé. Son père devait probablement être l'un de ses clients d'un soir, ces désespérés qui ramassent ce qu'ils trouvent au bord de la route sans trop faire gaffe à la qualité de la marchandise. Elle ne le connaissait pas et ne le connaîtrait jamais.

Autant vous dire tout de suite que la vie ne fut pas des plus aisées pour la pauvre gamine. Coincée entre un petit appartement sale et les rues mal famées qui menaient à l'école, elle devait vite apprendre à se débrouiller seule, elle, la fille paumée dont personne ne voulait. Heureusement, la petite Camille comprit bien vite les mécanismes du monde où elle vivait. La voilà vite devenue la racaille du collège, celle qui vendait de la drogue aux curieux et dont les enfants sages ne s'approchaient pas. Elle avait appris à se battre, à intimider, à survivre. Et surtout, à douter. Ce qui était le plus proche de vous pouvait parfois se révéler le plus dangereux.

Sa mère n'avait pratiquement plus de clients, les dettes s'accumulaient et l'ambiance déjà tendue de sa maison plongeait plus bas que terre. Le petit commerce de rue auquel se livrait Camille ne suffirait bientôt plus à nourrir la famille. La gamine était maintenant lycéenne, elle était devenue un garçon manqué, un individu présumé dangereux qui nourrissait les rumeurs. Son plus grand malheur était cependant son jolie visage qu'on aurait pu trouver attirant s'il n'était pas constamment couvert de bleus. La jeune fille y avait échappé jusque là, mais elle se doutait bien de l'objectif de sa mère. Après tout, pourquoi garder une sale gosse qui bouffe son fric si ce n'est pas pour s'en servir à un moment donné ?

Le soir où, enfin, sa chère génitrice lui annonça ses ambitions fut également le jour où elle lui déclara qu'elle serait un garçon désormais. Honnêtement, elle se fichait pas mal de son sexe, si être un individu masculin lui permettait d'éviter de finir comme sa mère, alors elle en serait un. Bien évidemment, sa déclaration fut accueillie plus que froidement. Camille ne s'était jamais vraiment disputée avec sa mère. Elle ne la voyait pratiquement jamais, trop occupée à trainer dehors et à faire de l'argent pour leur subsistance. Elle ne la respectait pas assez pour s'intéresser à elle. Mais cette fois-ci, ça allait définitivement trop loin. Elle ne pouvait pas accepter cette requête.

Ce fut aussi lors de cette soirée que Camille se rendit compte de sa singularité. En vérité, cet étrange pouvoir avait toujours été là, sous la forme d'événements étranges qui apparaissaient de temps en temps, des drôles de manifestations qu'elle ne comprenait pas et auxquelles elle avait abandonné la recherche d'explications il y a longtemps. Mais jamais avant sa télékinésie n'avait été réellement contrôlable. Etait-ce le soudain élan de rébellion envers sa mère, à laquelle elle avait toujours obéi par nécessité, qui déclencha ce réveil ? Peu lui importait.

Elle avait quitté le vieil appartement le soir même, laissant sa précédente vie et une femme terrifiée par l'événement surnaturel qui s'était produit derrière elle. Elle n'avait pas cherché à faire taire sa génitrice, personne ne croirait une prostituée qui trempait dans l'alcool et la drogue à longueur de journées. La fugueuse était aussi secouée, cependant. Un changement total de repères s'était opéré, il lui fallait remettre en question tout ce qu'elle prenait pour acquis. Camille pouvait donc faire léviter des objets, et Camille ne savait ni comment ni pourquoi. Très bien. Heureusement, Camille savait s'adapter.

La nuit qui passa fut consacré à la découverte de ses pouvoirs et de leur limites. L'utilisation de sa singularité était plutôt facile à maîtriser, étant donné qu'elle avait vécu avec durant toute sa vie sans vraiment s'en rendre compte. Elle remarquait cependant des inconvénients majeurs. Elle ne pouvait porter de charges trop lourdes ou utiliser sa télékinésie sans craindre d'affreusement douloureux maux de tête. Enfin, elle se rendit compte que ce réveil trop brusque de son pouvoir avait entraîné des effets secondaires plutôt ennuyants. En effet, trop distraite ou au contraire trop stressée, les objets aux alentours avaient tendance à se soulever et à flotter autour d'elle. Ce qui n'est pas très pratique lorsqu'on veut éviter de se faire remarquer. Elle ne pouvait décemment pas continuer à vivre normalement comme ça. Le lendemain même, elle s'installa dans un cybercafé, bien décidé à chercher à quitter son ancienne vie pour de bon.

Elle tomba presque par hasard sur l'académie Natsuyasumi, en cherchant un lieu éloigné où son logement et (accessoirement) ses études seraient prises en charges. Un coup de fil plus tard, le destin avait lié la jeune fille à l'établissement. La voilà partie vers le Japon. Au revoir maman, tu vas peut-être un peu me manquer. En tous cas, Camille allait rester un garçon, on ne sait jamais.