Evangeline, sifflotant l'air guilleret, montait les marches de la fameuse Allée de l'Effort. Grâce à son entraînement draconien aux jeunesses hitlériennes et forces spéciales nazies, elle arrivait à tenir le rythme et ne ressentait qu'une légère fatigue. Du moins, pour le moment...
Elle allait ajouter une marche supplémentaire à la liste de celles déjà parcourues mais son pied glissa soudainement et avant qu'elle ne s'en rende totalement compte elle commençait à glisser en arrière. Grâce à ses réflexes elle parvint à se rattraper à une vieille rampe en pierre quelques marches plus bas, mais sa cheville en avait pris un coup.

- Aïe...! gémit-elle en constatant les dégâts. Mince, je crois qu'elle est foulée... Pff, pas question de reprendre l'ascension dans ces conditions...

Avec un soupir agacé, Eva s'assit sur une marche. Après une pause, elle aurait peut-être moins mal et pourrait aller à l'infirmerie par ses propres moyens.

Eva, menton posé sur ses mains jointes, leva la tête en voyant une silhouette inconnue la rejoindre. Avec la lumière du soleil se reflétant dans les fleurs de cerisier, on aurait dit un ange, au point que la jeune fille en fut presque hypnotisée.

- Ça va? demanda l'apparition, brisant l'état de contemplation dans lequel était tombée Evangeline.

- Pardon? O-oh, euh, oui, je me suis juste foulée la cheville, ne vous en faîtes pas, répondit-elle avec un sourire.

Puis, se rappelant que l'Académie accueillait beaucoup d'élèves et professeurs très spéciaux, et en voyant l'apparente pureté et innocence de la nouvelle-venue, elle considéra que poser la question pouvait être légitime. Elle demanda donc, un sourire un peu gêné aux lèvres :

- E-excusez-moi... est-ce que vous êtes un ange?

Evangeline arqua un sourcil. Une elfe? Hmm, elle avait déjà entendu ça quelque part... dans un roman peut-être? Elle n'était donc pas humaine. Cela faisait-il d'elle une ennemie, une hérésie? Pas sûr, aucun écrit religieux ou nazi ne faisait la mention de ce genre de créatures, et elle n'était visiblement pas démoniaque bien qu'elle aie des oreilles pointues comme Kosyma.
Ainsi, elle choisit d'adopter une conduite polie et avenante. Après tout, son instinct lui soufflait que cette jeune femme était réellement pure, et jusqu'à présent son instinct ne l'avait jamais trompée.

- Oh, je vous en prie, répondit la jeune nazie avec un sourire amical. Si cela ne vous dérange pas, bien sûr.

Elle se poussa un peu pour faire de la place à la nouvelle-venue, et lui tendit la main.

- Mon nom est Evangeline Zweinher, enchantée.

Evangeline laissa échapper un léger rire amusé.

- Hahaha, vraiment? Là d'où je viens, on a tout intérêt à être sportif, répondit-elle avec un sourire pensif. J'ai subi beaucoup d'entraînements pour en arriver là, et quand j'y repense je ne regrette rien. Cela m'a permis de réaliser certains de mes rêves et objectifs, même si tout ne s'est pas terminé comme je l'aurais souhaité...

La jeune fille glissa une de ses mèches de cheveux derrière son oreille soupira.

- Eeenfin, on ne change pas le passé. Et vous mademoiselle Béryl, d'où venez-vous exactement?

En apprendre plus sur les gens qui constituaient son nouvel entourage scolaire et professionnel ne pouvait qu'être une bonne chose, et elle devait avouer être curieuse de l'histoire de cette charmante et angélique personne.

Evangeline releva la tête à la question.

- Mh? Oh, et bien, le principal était d'être remarquée par mon Führer. Ce rêve-là était de loin mon plus grand, alors j'étais folle de joie quand il m'a engagée comme garde du corps, espionne et assassin personnel! Pour ce qui était du reste, je souhaitais principalement défendre mon pays et lutter pour qu'il récupère la place qui lui était due. De cela, je suis très fière.

L'elfe devint subitement écarlate et demanda vivement à ce qu'Eva la tutoie. Pour le coup, ce fut au tour de la jeune fille de rougir.

- Oh, non, je n'oserais jamais! Vous êtes professeur et moi une élève! Ne pas respecter la hiérarchie et le respect qui lui est dû, c'est impardonnable!

Cependant, Béryl enchaîna tout de même en évoquant son monde d'origine. Un autre monde... ça faisait rêver. Et un monde qui visiblement avait d'excellentes valeurs!

- Obéissance, ponctualité et loyauté? Ce sont des qualités que l'on honore, là d'où je viens, répondit Evangeline avec un sourire satisfait. C'était précisément ce que l'on attendait de nous, les soldats. Je crois que c'est l'une des choses chez moi qui a attiré le regard de monsieur Hitler, d'ailleurs.

Evangeline rougit en se rendant compte de ce qu'elle venait de lâcher sans y penser, et se rattrapa vivement :

- O-oh, non, l'orgueil est un péché, je dois rester modeste! Je veux dire... je faisais de mon mieux pour répondre à ces critères, moi aussi. Quelque part, peut-être que nos mondes se ressemblent... Il y avait aussi la guerre chez vous?

Evangeline hocha la tête avec un petit air songeur lorsque Béryl avoua ne pas avoir de diplôme et de la considérer comme une alliée. Tisser des alliances était une chose très importante en territoire inconnu et potentiellement hostile, et la jeune nazie sentait qu'elle pouvait avoir totalement confiance en l'elfe.

- Une alliée? Je serais heureuse de vous avoir pour alliée, mademoiselle Béryl. Je m'en remets à vous et à vos enseignements, dit-elle avec un sourire en tendant la main pour serrer celle de la professeur et ainsi sceller leur alliance.

Au fur et à mesure que la jolie elfe dessinait le tableau oral de son monde, le regard d'Evangeline se faisait de plus en plus intéressé. Elles avaient vécu tant de choses similaires que c'en était presque frappant.

- La guerre... a toujours été mon quotidien, du moins, de ce dont je me souviens. Et je suis également partie alors que tout était finalement en train de se terminer, mais pas pour le mieux... Et votre Reine ressemble à première vue beaucoup à notre Führer, notre grand leader. Lui aussi a dû prendre des mesures drastiques pour nous sauver, mais... je n'ai pas eu l'occasion de voir par moi-même ce qu'il était advenu de mes compatriotes après ça. J'ai appris en arrivant ici qu'il y avait eu de grands procès et qu'ils avaient été traités comme des criminels. Cela m'a fait terriblement souffrir, mais cela me donne en même temps une raison de me battre aujourd'hui encore, vous voyez? Sans ça, et même avec la mission qui m'a été confiée, je pense que je serais encore plus perdue que maintenant, à l'heure qu'il est...

Le regard d'Evangeline se fit vague, mais en regardant bien l'on pouvait y voir briller une lueur de détermination.

Evangeline rougit aux compliments sincères de Béryl. On l'avait déjà félicitée, certes, mais ces mots-là avaient une profondeur tout à fait différente qui la saisit en plein cœur. Pour le coup elle ne sût que répondre, alors elle se contenta de bafouiller, touchée :

- Oh, n-non, j-je...! J-je ne suis qu'un modeste soldat, et je... je...

Seigneur, et voilà qu'elle était toute troublée par des compliments alors qu'elle avait toujours été imperturbable même devant les pires scènes de torture et d'exécution...

- Moi aussi je suis contente de vous avoir rencontrée mademoiselle Béryl. Vous êtes la première personne que je rencontre ici qui me comprenne. Vous me rappelez mon chez-moi, et c'est peut-être ce dont j'avais le plus besoin, alors je vous remercie du fond du cœur, finit-elle par confier avec un sourire sincère.

Cependant, la jolie elfe n'avait pas l'air dans son assiette. Un but, un objectif... Evangeline se doutait que ça ne devait pas être évident pour tout le monde.

- Vous savez, notre Seigneur Dieu nous a tous créés pour une raison. Il est vrai que ses intentions ne sont que rarement claires, même pour les gens d'Eglise, mais c'est aussi à nous de trouver notre voie. Vous avez choisi de devenir professeur, et c'est une profession très respectable. Vous avez une partie de l'avenir de tous vos élèves entre vos mains, alors... diplômes ou pas, pourquoi ne pas simplement offrir tout ce que vous savez pour aider toutes ces personnes à progresser dans leurs propres voies? Tout ce que votre métier exige, c'est de nous transmettre votre savoir, n'est-ce pas? Et vos expériences valent bien plus que tous les diplômes du monde. Moi je pense que vous avez déjà trouvé votre voie mademoiselle, mais que vous n'avez pas encore compris à quel point vous êtes précieuse pour tous ces élèves et collègues pour lesquels vous comptez. Alors souriez! Moi je ne suis qu'une arme qui ne sait que suivre des ordres, mais vous... vous, vous êtes un magnifique roman qui a plein de belles choses à raconter! Et ce sera un honneur pour moi que d'écouter tout ce que vous avez à nous enseigner lors de vous cours, mademoiselle.

Le sourire de la jeune fille était rayonnant. Evangeline était habituée à dire ce qu'elle avait en tête lorsqu'elle n'était pas en mission, mais tenir de tels discours était pour elle quelque chose de très rare. Mais quelque part, c'était peut-être dans ce genre de moments que la foi s'exprimait de la manière la plus juste et la plus passionnée...

Le "merci" de Béryl fut comme une seconde flèche qui la frappa en plein cœur. La jeune fille devint écarlate et se remit à bafouiller précipitamment :

- O-oh, mais je n'ai rien fait! Je veux dire, euh... et bien... hmmm... Hum, euh, d-de rien!

Dans une autre situation que celle-là Evangeline ce serait sentie idiote et ridicule. Mais c'était la toute première fois qu'elle était témoin d'une telle sincérité dans de si simples paroles... Les discours du Seigneur et de son leader étaient certes emplis de passion et d'inspiration, et la touchaient au plus profond de son âme, mais la façon qu'avait eu Béryl de de le faire était inédite... déstabilisante, mais dans le bon sens.
Ses paroles étaient pures.

- E-et sinon, qu'êtiez-vous venue faire ici, mademoiselle? demanda la jeune nazie, encore écarlate, afin de changer de sujet et de retrouver ses moyens.

- Moi? Hum, et bien, j'étais venue explorer les lieux. Je ne suis arrivée que très récemment et je n'ai pas encore pris le temps de faire le tour du campus, alors j'ai décidé de prendre la demi-journée pour... mmh... commença-t-elle avant de marquer une pause, songeuse.

Mieux valait éviter de parler des détails de sa mission alors qu'elle venait tout juste d'arriver à Shisaido. Mais quelque part, Béryl et elle étaient désormais alliées, et puis elle sentait qu'elle pouvait lui faire confiance. Et pour entretenir la confiance, il fallait entre autres offrir et recevoir.

- Je pensais dessiner une carte mentale et manuscrite des lieux, finit-elle par répondre. Lorsqu'on arrive en territoire inconnu et potentiellement hostile, il est nécessaire de connaître au plus vite la configuration des lieux afin de parer à toute éventualité! Mais vu l'état de ma cheville, je crains que cela ne doive attendre un peu... C'est bien ma veine, soupira-t-elle.

Un courant électrique parcourut sa blessure et elle fit la grimace. En plusieurs années de dangereuses missions, elle n'avait été que très rarement blessée... et là elle arrivait dans une école, et en à peine quelques jours elle se foulait la cheville!
Tu es pathétique, ma pauvre Evangeline... songea-t-elle.

Evangeline laissa échapper un petit rire amusé :

- Haha, non ça ira, je vous remercie mademoiselle! Il vaut mieux que j'en reste là avec ces maudits escaliers pour aujourd'hui. Mais je serai très heureuse de remonter ces marches en votre compagnie lorsque ma cheville sera guérie, ajouta-t-elle avec un sourire.

Sur ces mots, la jeune fille enleva sa chaussure et tenta d'évaluer l'état de sa foulure. Elle avait eu la "bonne idée" de mettre des bas noirs, comme à son habitude, qui l'empêchaient de voir exactement de quoi il retournait. Et elle n'allait certainement pas se montrer impudique en retirant ici le vêtement.

- Dîtes mademoiselle, navrée de vous déranger avec cette requête, mais au lieu de m'accompagner jusqu'en haut de ces marches, pourriez-vous m'aider à aller jusqu'à l'infirmerie? J'y serais bien allée seule, mais à vrai dire je n'ai aucune idée de là où elle se trouve...

Eva comptait au début commencer par les extérieurs de l'école pour ensuite finir par l'intérieur, mais elle aurait mieux fait de faire l'inverse. A présent elle avait une cheville foulée et elle allait embarrasser un de ses professeurs en se faisant escorter comme une handicapée...

Evangeline esquissa un sourire.

- Ce n'est pas tant pour la douleur, je suis habituée à ce genre de choses, c'est surtout que j'aimerais éviter que ça ne gonfle plus que nécessaire. Il faut absolument que je sois opérationnelle en toutes circonstances!

Aller à l'infirmerie pour quelque chose d'aussi bénin la faisait se sentir pathétique et méprisable, mais il valait mieux qu'elle s'occupe de cette foulure au plus vite, tant qu'il n'y avait pas encore de combat. Si elle avait été sur un champ de bataille elle aurait bien sûr ignoré cette blessure et continué à se battre, mais à présent elle était seule contre tous et elle devait absolument être au meilleur de sa forme si une guerre survenait.

- Ne vous en faîtes pas, j'ai vu largement pire qu'un escalier capricieux, répondit-elle avec un sourire à la remarque de l'elfe.

Aidée de Béryl elle commença la descente, retenant des grimaces de douleur quand elle posait son pied de manière un peu trop abrupte sur les marches de pierre. Le trajet n'allait pas être des plus agréables...