Tout était calme dans la forêt. La brise agitait paresseusement les feuilles des arbres et les oiseaux chantaient l'arrivée du printemps. Mais cette tranquillité impérieuse fut soudain brisée par le bruit de sabots sur de la terre fraîche et par des sanglots étouffés.
Oscar jaillit d'entre deux arbres sous sa forme de centaure et s'arrêta au bord d'une petite rivière qui traversait une charmante clairière.
Son entraînement à la vie de centaure avait encore été un désastre aujourd'hui, et ajouté au fait qu'il ne parvenait pas à faire dix mètres sans trébucher et perdre très régulièrement l'équilibre jusqu'à parfois chuter, les autres centaures tantôt riaient, tantôt se montraient sévères. Rhal avait bien sûr était là pour le consoler, mais cet après-midi-là, la coupe avait été pleine, et Oscar avait fuit la compagnie de la communauté au galop en ignorant les interpellations de son meilleur ami, inquiet.
Le garçon se laissa maladroitement tomber en position assise et regarda son reflet dans l'eau claire. Yeux rouges et gonflés par les larmes, oreilles pointues, et jambes remplacées par un corps de cheval. Il ne se reconnaissait plus. Et en plus il avait perdu son banaliseur dans la forêt, une sorte de bracelet, et ne pouvait ainsi pas retrouver sa forme humaine.
Il allait donner un coup dans l'eau, frustré envers les autres centaures et lui-même, quand soudain il entendit des bruits de pas. Effrayé à l'idée d'être surpris, il se cacha rapidement derrière un rocher, de sorte à ce que seule sa partie humaine (vêtue d'un t-shirt) en dépasse. Il fallait que quelqu'un arrive alors qu'il était le moins présentable possible... Ce jour était vraiment l'un des pires de sa vie!

Une jeune femme. Une très belle jeune femme, même. La première chose qui frappa Oscar, c'était son charisme. Elle avait une sorte d'aura... assez semblable aux centaures, en fait. Invisible, intangible, mais il pouvait la sentir... peut-être était-ce sa nouvelle condition qui affûtait sa perception de la nature, mais il lui apparut tout de suite clair que cette inconnue avait un lien privilégié avec la faune et la flore... Mystère.
Toutefois, cette impression passée, le garçon se souvint aussitôt de sa situation et il se tassa d'autant plus derrière son rocher, avant d'essuyer ses larmes et de se composer un sourire.

- Hm, euh, oui, je vais bien, je vous remercie... J'avais juste... une petite allergie au pollen...

Mais sa voix légèrement oscillante trahissait le mensonge un peu trop gros. Toutefois, il se donna un coup de fouet mental : il devait se montrer le plus convaincant possible ou cette journée deviendrait vraiment un cauchemar...
Ou alors... Peut-être venait-elle de prendre au contraire une direction imprévue et plutôt bénéfique...?

L'angoisse d'être découvert acheva de faire ravaler ses larmes à Oscar, qui s'essuya une dernière fois les yeux d'un revers du poignet, avant de répondre par un sourire rassurant.

- Oui, tout va bien, vraiment. Je vous remercie de vous inquiéter, mais... pourriez-vous éviter de trop vous rapprocher, s'il vous plaît? C'est juste que... hum... Je suis un peu malade, et j'aimerais éviter de vous contaminer...

Et encore un mensonge. Cela lui coûtait de mentir ainsi à une personne qui avait l'air sincèrement inquiète, mais il ne pouvait risquer d'être vu sous ce qui était désormais sa véritable forme. Néanmoins, au fur et à mesure que l'inconnue approchait, la sensation de l'aura de cette dernière se faisait de plus en plus insistante, au point qu'Oscar hésita à se montrer l'espace d'un instant. L'impression qu'il pouvait lui faire confiance car ils avaient tout deux le même rapport face à la nature...

- Je m'appelle Béryl, et toi? Tu es perdu?

Béryl? Mmh, il lui semblait avoir déjà entendu ce nom quelque part... Mais où?

- Je m'appelle Oscar, répondit-il avec un sourire calme. Enchanté de faire votre connaissance. Et, non, je ne suis pas perdu, je connais cette forêt comme ma poche, ne vous en faîtes pas.

Dans l'immédiat, le garçon ne souhaitait qu'une chose : que la dénommée Béryl fasse demi-tour et le laisse seul. Pas qu'il ne l'aimait pas, au contraire même. Cette jeune femme avait quelque chose de très spécial qui l'intriguait et lui donnait envie de se confier. Et pire : de se révéler. Et c'était justement pour cette raison qu'il priait de toutes ses forces pour qu'elle rebrousse chemin.

Oscar releva la tête et afficha un air surpris en entendant la réponse de Béryl. Aah, mais oui, bien sûr! C'était de là qu'il connaissait le nom de la jeune femme! C'était une de ses professeur, et la professeur responsable de son club qui plus était! Tout à coup, il se sentit un peu bête de ne pas s'en être rendu compte sur le moment...
Lâchant un soupir de soulagement, son sourire refit surface sur son visage. Il ne risquerait plus de s'attirer d'ennuis si la personne qu'il avait en face de lui était un professeur de l'Académie!

- Aaah, oui! Je suis enchanté de vous rencontrer madame, répondit-il avec un sourire franc et doux. Je suis désolé, je n'avais pas compris que c'était vous... Mais, vous pouvez rester! En fait, j'ai eu un petit problème... j'ai perdu mon banaliseur... expliqua-t-il en baissant légèrement la tête, inquiet. Du coup, je ne peux pas me montrer... comme ça... ajouta-t-il en quittant lentement son rocher pour se montrer entièrement à Béryl.

Evitant le regard de son professeur, il porta sa main gauche à son bras droit et se mordit la lèvre, embarrassé par sa situation. Dans la mesure où il évitait au maximum de se montrer sous son apparence de centaure aux autres gens, même à ses camarades et enseignants de Natsuyasumi, se dévoiler ainsi le gênait toujours. Il avait l'impression d'être bizarre, d'être une "bête étrange"... Même si plusieurs des autres élèves avaient des physiques bien plus spéciaux que le sien.

Oscar tourna vivement la tête vers son professeur en entendant le compliment. "Magnifique". Magnifique, lui? Non, elle disait simplement ça pour être gentille, n'est-ce pas? Pourtant, le ton et la nuance dans la voix démontraient tous deux que la jeune femme était profondément sincère.
Quand il avait découvert les centaures, le jeune photographe avait lui aussi pensé qu'ils étaient magnifiques. Grands, impressionnants, charismatiques et fascinants, tant d'adjectifs admiratifs qu'il avait eu pour eux. Mais lui ne s'était jamais considéré que comme un ersatz de centaure, un jeunot inexpérimenté, indécis et maladroit. Alors cette remarque sincère, ce compliment honnête, l'avait touché profondément. Ce "simple" constat l'avait mis au même niveau que ces êtres qui lui semblaient à la fois si proches et si loin.
Cette pensée lui redonna du courage et acheva d'apaiser le chagrin et la frustration qu'il avait ressenti quelques minutes plus tôt. Néanmoins il fut vite ramené à la réalité par la remarque de Béryl.

- Ah! Oui! Mon banaliseur! Demander aux animaux, vous dîtes... Depuis que je suis un centaure, je peux comprendre les animaux, mais je n'y arrive pas encore tout à fait... Les autres centaures ont commencé à m'apprendre, mais j'ai beaucoup de mal... Si vous pouvez les comprendre aussi, peut-être pourriez-vous me donner des leçons supplémentaires? demanda-t-il aimablement avec une pointe de timidité.

Appeler les animaux? Hum, voyons, que lui avaient dit les centaures à ce sujet, déjà...? Ah, oui, sentir la nature, sentir la flore et la faune... Oscar ferma les yeux et se concentra, puis une de ses oreilles pointues détecta un bruit à sa droite, et en tournant la tête il vit un lapin surgir d'un buisson. S'il avait eu son appareil photo sur lui, il l'aurait immédiatement sorti pour prendre un cliché de l'animal, malheureusement il avait laissé son sac à dos au camp des centaures lorsqu'il avait fui au galop.
Bon, fallait être honnête, Oscar ne pensait pas avoir réellement appelé le lapin lui-même. La petite créature était déjà là et avait choisi de se montrer au moment opportun. Mais l'essentiel était qu'elle était apparue, non?

- Hum, euh, bonjour...? Tenta de dire le centaure après avoir adressé à son professeur un regard entendu.

Ce que répondit le lapin fut... incompréhensible. Imaginez un Russe essayant de parler un mélange d'arabe et d'allemand, et vous aurez un ressenti très proche de celui qu'avait le garçon en l'instant. Ce dernier tourna la tête vers Béryl avec un regard qui voulait dire "à l'aide!". Il avait beaucoup moins de mal avec les chevaux, puisqu'ils étaient proches des centaures. Mais parler le lapin, c'était sacrément costaud.

Garder ce que l'on désire exprimer bien en tête au moment de parler... Oscar hocha la tête. La théorie était à sa portée, la pratique en revanche... Bon! Qui ne tentait rien n'avait rien. Il suffisait d'essayer, et peut-être qu'avec ces quelques conseils et de la volonté, il parviendrait à comprendre et se faire comprendre du lapin visiblement caractériel.

- Bonjour, euh... monsieur? Je suis navré de vous déranger, mais il se trouve que j'ai perdu un objet qui m'est précieux. Cela ressemble à un bracelet, un... objet fait de fils noués en forme d'anneau. Il ne doit pas être bien loin... Auriez-vous l'amabilité de m'aider à le retrouver?

Le jeune centaure parlait toujours de manière polie et ce naturellement, mais cette fois il avait prêté attention à sa formulation pour ne pas froisser le petit animal. Quand ce dernier lui répondit, l'espèce d'accent russe était toujours bien présent, mais au moins le lycéen comprit dans les grandes lignes ce qu'il lui rétorqua. Apparemment, il était prêt à l'aider, mais pas vraiment de bonne grâce... Mais bon, au moins ils auraient un coup de main! Oscar adressa à Béryl un sourire reconnaissant. Il avait vraiment eu de la chance d'avoir croisé la route de la jeune femme à ce moment-là!